Les yeux fermés : $b roman
LXXXIV
Il ne faut pas condamner Odette. C’était ce que les bonnes gens appellent une enfant terrible. Rien de plus. Son premier mari n’avait pas pu s’habituer à tant de gaieté rayonnante. Qu’elle n’eût commis aucune imprudence, je ne le jurerais pas. Mais imprudence n’est point crime. Une imprudence d’Odette prête à sourire, car cette enfant terrible a ceci de terrible qu’elle ignore la feinte. Je la crois capable d’une grande folie, mais en pleine lumière ; et d’une petite vilenie dans l’ombre, non. S’il m’appartenait de regretter quelque chose, je regretterais la déplorable facilité qu’elle a pour se lier avec n’importe qui. A la juger d’après certaines de ses relations, on la jugerait sévèrement, il est vrai. Mais je la crois aussi inaccessible à la tentation du mal qu’à la mélancolie. Et je me demande même si elle a conscience des dangers qu’elle court parfois ou du mal qu’elle frôle. Ce n’est qu’une enfant terrible. Je le dis avec d’autant moins de rigueur que je serais excusable d’en montrer davantage. Sans Odette, en effet, sans cette terrible Odette trop exubérante, Michelle serait près de moi, à cette heure, au lieu d’être en Bretagne, près de sa grand’mère, d’où elle ne me reviendra que dans trois jours, si elle me revient. Et pourtant, je n’accuserai pas Odette. Je ne l’accuse pas. Je suis persuadé qu’elle n’a pas voulu ce qui a été, ou ce qui aurait pu être, je ne sais plus. Je n’affirmerais pas qu’elle a soupçonné le drame qui se préparait sous ses yeux par sa faute, ou, du moins, à cause d’elle. Elle ne soupçonne peut-être rien encore. Elle est partie pour Paris, avec son Georges, huit jours avant que Michelle me quittât. Elle n’a pas vu la tristesse de Michelle. Et je ne croirai jamais que Michelle l’eût prise comme confidente : Michelle est trop secrète.