Les yeux fermés : $b roman
XXVI
Rien n’est plus mystérieux qu’une jeune fille. Que sait-elle ? Qu’ignore-t-elle ? Et peut-être ce mystère attire-t-il davantage. Mais toutes ne s’en doutent pas. Je ne connais rien d’odieux comme une jeune fille qui affecte des allures de femme. Michelle n’était point de celles-là. A vingt ans, on sourit, avec malice, du mot candeur. A trente-cinq ans, on lui trouve un parfum émouvant. C’est la candeur même que respirait Michelle. A vivre dans un hôpital, en temps de guerre, au milieu de blessés de toutes les classes et de tous les tempéraments, comme aussi de médecins qui, sous prétexte de science ou d’hygiène, sont souvent de grossiers personnages, il est probable que Michelle, jeune fille, avait dû en voir de toutes les couleurs. Elle ne jouait jamais, cependant, au garçon. Elle semblait ne voir et n’entendre que ce qu’elle voulait bien voir et entendre, mais cela, également, sans en avoir l’air. Il n’y avait rien de contraint en elle. Et, si elle était la candeur même, elle l’était sans chercher à l’être. Pour un soldat qui venait de vivre pendant plusieurs mois en compagnie de soldats, et uniquement de soldats, qui n’étaient pas tous des anges, une Michelle paraissait, je ne crains pas de l’écrire, angélique. Et que dire de ce regard qui passait par-dessus moi, lorsqu’elle parlait de choses graves sans insister ? N’est-ce pas lui qui m’a d’abord séduit ? Ou bien est-ce sa voix, cette voix si fraîche, chantante, et qui me reste seule palpable, en quelque sorte, maintenant que je suis aveugle, des trésors que j’avais près de moi quand Michelle était assise à mon chevet ? Mais je possède, vivace, le souvenir de ce regard qui a longtemps hanté mes nuits d’insomnie, mes premières nuits d’aveugle. Faudra-t-il que je meure sans avoir revu ce regard incomparable de Michelle, de ma Michelle, comme disait ma mère, ce regard qu’elle avait et qu’elle n’a peut-être plus ?