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Les yeux fermés : $b roman

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LII

Ce fut une très douce camaraderie, qui ne pouvait pas durer. Michelle me devenait indispensable. Elle me lisait les journaux, prompte à y trouver ce qui m’intéressait. Où avait-elle appris si vite à déjouer les entretiens dangereux, je veux dire ceux qui risquaient de me rappeler trop brutalement que j’étais condamné à la cécité perpétuelle ? Avec un tact incomparable, elle me décrivait gens et choses. Sans effort, par elle, je voyais ce que mes yeux ne voyaient plus. Sans effort, par elle, je m’habituai à ne plus voir. Et jamais rien ne la lassait. Ce n’est que quand elle me quittait, le soir, pour regagner Ciboure et la maison de sa mère, que je sentais que la nuit était vraiment venue. Quel souvenir je garde encore des promenades qu’elle me fit faire, en voiture ou à pied, dès que j’eus l’autorisation de sortir ! Comme ma première convalescence me paraissait fade et morne près de celle-ci ! Avais-je le pressentiment que notre camaraderie s’achèverait de la façon qu’elle s’acheva ? Et Michelle avait-elle tout prévu, tout accepté ? Comprenait-elle qu’elle m’était devenue indispensable ? Elle allait au-devant de mes désirs, me proposait le livre dont j’avais envie, m’offrait la promenade qui me plaisait, devinait que je préférais quelquefois rester à l’ombre dans le jardin de l’hôpital. Quand elle arrivait, le matin, près de mon lit, elle jugeait sans peine de mon humeur. Ah ! l’étreinte de nos mains, quand elle arrivait et quand elle me quittait ! Mieux que si je les avais regardées, je connaissais parfaitement ses mains, ses mains menues aux ongles allongés, que n’ornait aucune bague. Mais je n’osais pas les retenir dans les miennes aussi longtemps que je le désirais. Et elle ne les y laissait pas plus longtemps que je ne les retenais, et elle ne les retirait pas avant que j’eusse desserré les miennes. Chères, chères mains de ma chère Michelle !

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