Les yeux fermés : $b roman
XXXV
J’avais écrit à ma mère pour lui annoncer par quel train j’arriverais. Dans la foule de soldats et de civils qui se pressaient à la sortie de la gare, je la cherchai comme s’il eût été indispensable qu’elle y fût. Mais nous arrivions avec plus de deux heures de retard, et je ne m’étonnai pas de ne pas la trouver. Je m’étonnai davantage de ne trouver que difficilement une voiture qui consentît à m’emmener chez nous, rue Jouffroy. Je ne connaissais pas le Paris de la guerre. L’absence des autobus me séduisit, et je m’amusai des femmes, coiffées d’un calot, qui, dans les tramways, tenaient les emplois de conducteur et de receveur. Je respirais avec satisfaction l’air déjà lourd d’une matinée d’été. Comme la place de la Concorde était belle ! Comme la façade de la gare Saint-Lazare était sale ! Paris n’a jamais eu pour moi le charme qu’il avait en cette fin de juillet 1915. Sans doute en a-t-il un autre pour les autres, maintenant, puisqu’il est plus surpeuplé que jamais. J’en suis à celui de 1915. Dans la mauvaise voiture qui m’emmenait vers la rue Jouffroy, je me rappelais ce que m’avait dit ma mère de ce Paris que je ne connaissais pas. Et j’eus envie de le connaître mieux. Parti de Saint-Jean-de-Luz à regret, j’arrivais avec plaisir ; mais le plaisir de revoir ma mère et la perspective de vivre auprès d’elle pendant trente jours me faisaient respirer plus largement. J’eus, pourtant, une déception : la femme de chambre qui m’ouvrit la porte me demanda mon nom. Je l’écartai sans égards. Je craignais soudain que ma mère, n’ayant pas reçu ma lettre, ne fût à son hôpital. Elle n’avait pas reçu ma lettre, en effet, mais elle n’était pas à l’hôpital. Dans le petit salon dont je tirai brusquement la portière, elle se leva de son fauteuil en poussant un petit cri de surprise. En même temps, du divan où il était allongé, se leva un officier d’artillerie.
— Le capitaine Georges Vuéron, dit ma mère.
Il me tendit la main.
— Un de mes premiers blessés, ajouta ma mère, demeuré un ami.
Et lui :
— Très reconnaissant.