Les yeux fermés : $b roman
LXV
Ma mère et Georges, l’un regagnant Dunkerque et l’autre Paris, nous quittèrent ensemble par le même train. La semaine qu’ils passèrent près de nous m’avait paru courte. Ma mère s’était montrée d’humeur avenante sans plus, et la semaine si courte avait suffi pour que Georges me devînt un frère véritable. Eux partis, la maison fut plus calme, et Michelle toute à moi, comme moi tout à elle. Les longues heures d’intimité commençaient. Il me sembla que je me mettais à vivre d’une vie nouvelle.
Michelle transforma pour moi son petit salon. Un vieux menuisier espagnol posa des rayons de bibliothèque sur les murs. Une table solide remplaça les tables légères. Michelle surveillait, dirigeait, ordonnait, non sans me demander au préalable mon avis, comme si je voyais. On avait repeint la pièce à mon goût.
— C’est ici que nous travaillerons, disait Michelle.
Elle estimait, en effet, que rien, désormais, ne pouvait m’empêcher de reprendre mes études, et de les reprendre avec elle. J’étais licencié ès lettres depuis 1911. Je ne songeais plus, naturellement, à préparer l’agrégation. Mais rien ne m’empêchait, Michelle n’avait pas tort, de poursuivre mes recherches d’histoire et d’histoire littéraire interrompues. Nous avions appris le braille. Michelle décida qu’elle lirait pour moi, qu’elle écrirait sous ma dictée, et que je composerais de beaux livres. Elle avait eu, cette fois, la gentillesse de ne pas dire nous. Elle n’aspirait qu’au rôle de secrétaire. Une fièvre la prenait qui me gagna. Heures délicieuses !
— J’ai tout à apprendre, disait Michelle. Il faudra me gronder, si je me trompe.
Mais moi aussi j’avais tout à apprendre. Ma mémoire, après tant d’événements, s’était obscurcie. Avant d’écrire une ligne, j’avais besoin de lire et de relire. Heures délicieuses ! Michelle était une lectrice adorable, qui ne s’avouait jamais lasse ni rebutée. Combien d’in-8 m’a-t-elle lus, dont l’intérêt n’était pas toujours immédiat ! Heures délicieuses !