Les yeux fermés : $b roman
XCVII
Comme l’an dernier, la bande joyeuse s’est dispersée à la fin de septembre. Odette rêvait d’un voyage en Italie, Jacques attendait un ordre d’embarquement. Il attendait, satisfait d’avance de la destination qu’on lui donnerait. Quand l’ordre l’atteignit, la bande se préparait à fuir. Lui ne s’en alla que le lendemain, avec Odette et Georges. Il rejoignit son bateau à Toulon, et rien ne l’attirait ni à Paris, ni ailleurs, car il n’a plus de famille. Ce fut un départ sans éclat. Odette, Georges et Jacques, dans la même voiture, Odette conduisant, s’arrêtèrent, au passage, à Guéthary. On but du porto. Georges tint à nous faire entendre un ultime fox-trot et s’empara du phonographe. Puis, ils partirent, comme s’ils partaient pour une simple excursion. Michelle et moi les avons accompagnés jusqu’à la grille. La grille était tiède sous ma main. Un soleil d’automne basque mettait aux vacances de la bande joyeuse un beau point final. J’ai erré dans le jardin. Michelle était rentrée. Le déjeuner fut morne, comme avaient été mornes tout notre hiver et tout notre printemps. Michelle ne prononça que quelques paroles sans importance. L’après-midi, elle s’enferma dans la lingerie avec la vieille Joséphine. Et le dîner fut morne comme le déjeuner. Michelle se taisait. Moi aussi. J’aurais peut-être dû parler. C’est le soir que Michelle me lit d’ordinaire les journaux. Ce soir-là, je la priai de ne rien lire, prétextant une migraine, une de ces migraines dont je m’étais tant servi pendant le séjour de la bande joyeuse. Michelle ne répondit pas. La nuit s’annonçait douce et calme, à peine fraîche. Je n’avais aucunement envie de dormir. J’allai, néanmoins, me coucher. Michelle lisait Le Roi Lépreux. Je lui baisai la main. Elle l’avait froide.