← Retour

Les yeux fermés : $b roman

16px
100%

XCI

Le printemps ramena sur la côte basque nos deux transfuges : Odette et Georges. Transfuge est un grand mot. Odette et Georges appartiennent à cette espèce d’hommes et de femmes qui ne sont à peu près nulle part chez eux et qui possèdent, ici et là, des châteaux ou des maisons pour ne se plaire que dans des hôtels. Mais j’appelai transfuges Odette et Georges quand ils débarquèrent à Saint-Jean-de-Luz, après cinq mois d’absence, et ils furent flattés d’un pareil titre. En réalité, je ne me réjouissais pas de leur retour. Je prévoyais que la bande joyeuse de l’été précédent, ou une bande nouvelle toute semblable à l’ancienne, s’abattrait sur nous. Et déjà je regrettais que s’achevât ce morne printemps pluvieux qui avait succédé sans transition à un pluvieux hiver si morne. Il pleuvait lorsque Georges, riant aux éclats derrière Odette, reparut dans notre petite maison de Guéthary. Mais ils ne savaient pas, eux qui nous arrivaient de Nice et que cette pluie amusait, — car tout les amuse, — ils ne savaient pas que nous étions, nous, saturés de bruine, de vent, d’ondées, de bourrasques et d’humidité. Ils riaient, comme toujours. Ils avaient mille histoires à nous conter. Cependant, Georges, à peine assis, se levait, courait au phonographe que nous n’avions pas ouvert depuis cinq mois, et nous infligeait l’affreuse nostalgie d’un charleston barbare joué à la diable par un orchestre de nègres. J’aurais, du moins, aimé qu’on me laissât jouir en silence de cette horrible musique. Odette parlait. Elle parlait des amis et des amies qu’elle avait invités. Elle parlait des plaisirs qu’elle se préparait. Elle parlait. Et Georges, qui ne l’écoutait que d’une oreille, veillait à ce que le phonographe ne se tût pas. Mais Michelle et moi ne disions rien. Nous n’avions rien à dire.

Chargement de la publicité...