Les yeux fermés : $b roman
XIII
Cette première saison d’été que j’avais passée à Guéthary avec ma mère, elle compte dans ma vie parmi les époques suprêmes. Là, à des riens sur lesquels je pourrais insister, mais dont je ne pourrais reconstituer l’importance que par une espèce de fiction, je sentais que ma mère avait dû souffrir, devait souffrir. De quoi ? Contre ces mystères qui les émeuvent, les enfants exercent sans succès leur imagination. L’intelligence n’y démêle rien. Dans le domaine de la sensibilité, tout ce que l’on croit découvrir ne fait que recouvrir les événements sous les bariolages d’une réalité fallacieuse. Ou l’enfant s’y endurcit, ou il s’énerve. Tout dépend de la mère. La mienne m’avait insinué peu à peu, comme malgré elle, un respect de la femme qui paraîtrait bien étrange à bien des jeunes gens d’aujourd’hui. Non pas que ma mère fût le moins du monde féministe. Elle ne s’avisa jamais de réclamer pour son sexe des droits, d’ailleurs discutables, certainement illusoires. Mais elle mit son âme à m’inculquer une déférence profonde pour la faiblesse de celles que trop d’hommes pensent honorer en les traitant d’égal à égale. Elle n’avait pas tort. Je ne discute point de droits sociaux ou juridiques, qui sont de peu. Je note seulement qu’au physique et donc au moral, la femme exige des égards. Toutes les plus belles théories tombent devant cette nécessité de bon sens. Hercule a filé la quenouille aux pieds d’Omphale : la brute s’est inclinée. Honneur à la brute ! Honneur, surtout, à la chétive reine qui mérita pareil hommage et l’obtint ! Les hommes ne sont que ce que les femmes veulent qu’ils soient. Adolescent dont les yeux s’ouvraient au spectacle de l’univers, j’ai eu le privilège d’être guidé par une femme incomparable. Elle opérait par petites touches, par persuasion : c’est le meilleur moyen. Mais notre première saison de Guéthary ne devait pas s’éterniser. Deux mois de vacances coulent vite. Octobre nous emporta loin du pays basque. Plus solide, j’allais être interné dans un lycée de Paris. Et ma mère regagnait Lille, où mon père l’attendait.