Les yeux fermés : $b roman
XC
Les poètes romantiques se lamentaient parce que le soleil ne daignait pas s’éclipser quand ils se trouvaient malheureux. A notre tristesse, le ciel répondit par une tristesse fraternelle. Il ne me souvient pas d’une année où les premiers mois furent plus abreuvés de pluie qu’en 1927.
— Comme il fait gris ! disait Michelle, presque tous les matins.
Et sa voix avait quelque chose de gris. Mais j’étais plus accablé qu’elle. Je ne voyais pas, mais j’entendais. Je ne sais rien d’agaçant à l’égal de la pluie qui frappe les tuiles d’une maison en janvier ou les feuilles des arbres en avril. A la tristesse de Michelle, je cherchais des causes. Je considérais — raison considérable — qu’elle ne se sentait peut-être pas encore assez chez elle dans la petite maison de Guéthary. Elle était habituée depuis si longtemps à la villa de Ciboure ! Ainsi, j’écartai de moi les soupçons insidieux. Avais-je le pressentiment de ce qui serait ?
Sous prétexte que ce qui fut a été, je pourrais, après coup, me leurrer d’une clairvoyance importune. Je ne veux pas me leurrer. D’après nos conventions, Michelle doit me revenir après-demain. Après-demain ! Que d’heures à égrener jusque-là ! Et il pleut, aujourd’hui, comme il pleuvait pendant ce long et morne hiver où j’avais l’impression que Michelle s’évadait.
Si j’écrivais un roman de mon aventure, on m’objecterait qu’il m’était facile d’avoir avec Michelle une scène d’explication. Et tout se fût peut-être dissipé. Peut-être. Peut-être. Le même doute toujours me poursuit. Mais Michelle est secrète, et moi-même je n’ai rien tant en horreur que d’interroger et de me confesser. J’ai la pudeur de mes sentiments. C’est un travers ou une vertu qui échappe à la littérature. La vie n’est pas toute dans les romans. Les romans égarent les lecteurs sans expérience. Je n’écris pas un roman. J’écris ceci pour moi. Je m’imaginais, en commençant, que j’écrirais aussi pour Michelle. Je sais bien que je ne lui donnerai jamais ces pages à lire. Je sais bien que je les détruirai peut-être après-demain, quand elle me reviendra, ma Michelle trop aimée. Peut-être. Peut-être.