Les yeux fermés : $b roman
VI
Quand nous sommes venus pour la première fois dans la maison où je suis encore au moment que j’écris ceci, je touchais à ma seizième année. C’était en juillet, et j’achevais à peine ma classe de rhétorique, — vieux style et nouveaux programmes, — au lycée de Pau. La seconde terminée au lycée Faidherbe de Lille, le médecin avait ordonné qu’on m’éloignât du Nord, si l’on ne tenait pas à me laisser mourir de tuberculose pulmonaire sous un climat pernicieux. Un an d’internat dans la molle capitale du Béarn me rétablit assez bien pour que toutes craintes fussent écartées, et, l’été naissant, ma mère abandonna mon père aux joies restreintes d’une garnison trop septentrionale où il était chef de bataillon, et s’installa pour les vacances à Guéthary. Notre maison, près de la mer, n’était pas fastueuse. Elle ne ressemblait guère aux villas plus ou moins basques, qui ont envahi la côte entre Bayonne et Hendaye, depuis une dizaine d’années. Mais rien du Guéthary d’alors ne ressemblait au Guéthary de 1927. Aucun grand hôtel n’y rappelait aux bourgeois sans fortune éclatante que le commerce de l’alimentation est l’un des meilleurs, du moins en espérance, quant au bénéfice. Guéthary n’était qu’un petit village de pêcheurs où se réfugiaient, pour juillet, août et septembre, quelques familles qui ne pouvaient aspirer à la vie ardente que l’on menait à Biarritz et qui fuyaient déjà Saint-Jean-de-Luz, plage attaquée par le luxe. Dans ce Guéthary modeste, la maison que ma mère avait louée, et que, par la suite, elle acheta, ne forçait pas l’attention des passants. Elle était absolument telle que dût l’élire une femme qui n’aimait point se faire remarquer. Quand nous nous y installâmes, elle et moi, je n’aurais jamais cru que, moins de vingt ans plus tard, j’y habiterais, mais sans ma mère qui l’avait choisie et la trouvait charmante. La maison est toujours pareille. Ma mère se repose pourtant ailleurs pendant les mois d’été.