Les yeux fermés : $b roman
XCII
La bande joyeuse reparut à l’appel d’Odette. Elle recommença ses folies. Mais ces folies me semblèrent moins fraîches, moins jeunes. Il leur manquait le charme de la nouveauté. Elles ne m’étonnaient plus. Elles me pesèrent vite. Je ne pouvais pas songer, naturellement, à fermer ma porte, ni à refuser toutes les invitations que l’on me faisait. D’autant que Michelle, moins rétive que l’an dernier, n’avait pas l’air de partager ma lassitude. Je prétextai, pourtant, des migraines qui tinrent plus d’une fois à distance les fous trop encombrants. Mais je ne pouvais pas les éviter tous les jours. J’avais quelque pitié, je l’avoue, de Michelle, que cette distraction ranimait. Pitié, néanmoins, n’est pas non plus le mot juste. Je voulais seulement que Michelle ne se crût pas enchaînée de trop près à son dévouement de toutes les heures. A la Pergola de Saint-Jean-de-Luz, pour qu’elle osât danser, si la danse la récréait, je dansai d’abord avec elle. M’était-il donc si désagréable de danser ? Non point. En pratiquant ce que j’avais blâmé, je comprenais ce que ne comprennent pas les censeurs inexorables. Il m’arriva même, je l’avoue aussi, certain jour, de danser avec plaisir. Aurai-je le courage de descendre au fond de ma pensée ? Oui. Je dansai, un jour, avec plaisir, parce que le Jacques de l’an dernier n’était pas de la bande, cette année. Je serrais Michelle contre moi, pour m’affirmer qu’elle m’appartenait. Je ne pensais pas que d’autres avaient loisir de la regarder. Il me suffisait que Jacques ne fût pas là. Qui n’a pas aimé, qui donc ne fut pas jaloux, sourirait. Je souris, ce soir, mais avec une nuance d’amertume. Je ne souriais pas. J’étais ému comme au temps de nos fiançailles. Mais à quoi pensait Michelle ? J’y songe à présent. Je n’y songeais pas. Comme nous sommes égoïstes ! Jacques n’était pas là. Je dansais avec plaisir.