Les yeux fermés : $b roman
XLII
Dure leçon que me donnait là cette jeune fille de belle race. Dure leçon, après le désarroi qui m’avait chassé de Paris. Dure leçon pour moi, qui n’avais pas eu la force de résister à mon penchant. Dure leçon, qui élargissait mon désarroi. Où me tourner ? A quoi me résoudre ? Avais-je offensé Michelle ? Je ne comprenais pas que, si elle avait baissé les paupières, elle ne les baissait que pour résister peut-être à mon regard navré. Je n’ai compris que plus tard. J’ai toujours tout compris plus tard. Sur le moment, j’étais désorienté. Je regagnai mon Guéthary à pied, par la route nationale. Il ne me restait qu’une solution : quitter le Pays Basque comme j’avais quitté Paris. Il m’était impossible de vivre si près de Michelle, que j’aimais, j’en étais enfin certain, trop certain, et qui ne m’aimait pas. Rentrer à Paris pour obliger ma mère à des mensonges et en souffrir ? Il ne me restait qu’une solution : quitter le Pays Basque comme j’avais quitté Paris, et rentrer dans ma nouvelle famille, — mon régiment, ma batterie, ma pièce, — sans attendre l’échéance de mon congé. Là-bas, au front, sur la ligne de feu, au milieu de mes camarades, je trouverais cette distraction dont Michelle ne voulait pas. Comme elle, et suivant sa leçon, sa dure leçon, j’accomplirais ma tâche d’homme, je servirais. Ainsi, peut-être, oublierais-je. Peut-être. Ma vieille Joséphine en gémit aussitôt. C’était de la folie, disait-elle. Peut-être. Je la laissai gémir et me rendis au bureau de poste. Par télégramme, j’avisai Michelle que je partirais le lendemain soir pour le front. Espérais-je la toucher mieux ? Espérais-je qu’elle viendrait, le lendemain, visiter cette maison qu’elle avait refusé de visiter ? Elle vint, en effet, le lendemain, à trois heures, sonner à la porte de mon jardin. Elle ne venait que pour cinq minutes, afin de me féliciter et me remettre une médaille de saint Christophe. Trop bref enchantement ! Nous nous séparâmes dans le vestibule. Elle détournait la tête, comme pour me dérober le secret de son regard. Sa voix était mal assurée, et sa main cherchait à ne pas s’attarder dans la mienne. La même scène a eu lieu, la semaine dernière, dans le même vestibule, entre les mêmes personnages, quand Michelle est partie. Mais, en 1915, c’était moi qui partais, et j’avais pu voir tout de la scène, et voir, voir que Michelle ne repoussait peut-être pas à jamais mon amour.