Les yeux fermés : $b roman
XXXI
Ai-je cette foi qui console les affligés et soutient les forts ? Un atavisme catholique ne m’avait pas permis de me refuser délibérément. Enfant, je fus nourri de doctrine chrétienne comme d’humanités. Ma mère m’emmenait à la messe. Mon père y allait aussi de son côté. Longtemps, j’ai considéré que la visite hebdomadaire à l’église faisait partie des actions qu’il est bienséant d’accomplir. Certains de mes camarades de lycée ne pratiquaient aucune religion ou en pratiquaient une qui n’était pas la mienne. Je ne m’en inquiétais pas plus que de la forme de leur nez ou de la couleur de leurs cheveux, car ma mère, indulgente, n’avait ni préjugés ni parti pris, et mon père, homme rude et tout d’une pièce, défendait le respect des convictions de chacun. En grandissant, il m’arriva de ne plus suivre ma mère à la messe, et de n’y pas aller tous les dimanches. Ce n’était point par bravade ; c’était plutôt par indifférence, paresse, et quelquefois simple oubli. Je n’avais pas la foi enthousiaste des néophytes, et, comme on sourit des nouveaux riches, je souriais des convertis de la veille. J’atteignis ma vingtième année sans avoir mis en doute les enseignements du catéchisme. Mais avec la guerre il était inévitable qu’une réaction secouât ma tiédeur. Autour de moi, les uns croyaient de façon trop ardente pour que je n’en fusse pas ému, et les autres niaient avec une obstination dont la tristesse était navrante : l’ombre de la mort s’allongeait sur les soldats. Les messes qu’on célébrait en pleine campagne, sur des autels de fortune, avaient une allure singulière : quelle puissance agenouillait tant d’hommes vêtus de la même capote et coiffés du même képi derrière l’un des leurs communiant pour tous ? Hélas ! quand la grâce avait pris ou repris des athées ou des tièdes sous le coup de la grande épouvante, je m’étais, moi, senti dépouillé de ma foi trop médiocre. Jeté sans transition d’une adolescence heureuse dans une sinistre maturité, j’avais perdu pied, et je ne pouvais plus croire qu’un Dieu pût tolérer les horreurs d’une guerre pareille. La crainte de la mort ne me poussa pas vers les aumôniers : la conscience d’une injustice si tragique me dérouta. Quand, blessé, j’échouai à Saint-Jean-de-Luz, j’avais renié le credo de mon enfance. Mais Michelle, un jour, me dit, de sa voix grave :
— Il faut croire.