Les yeux fermés : $b roman
IX
A Guéthary, nous menions une vie assez retirée. Le plus souvent, ma mère restait à la maison quand j’allais sur la plage, où je retrouvais, pour le bain et les vides bavardages de l’adolescence, quelques camarades, filles ou garçons. La côte, ici, est difficile, en effet. Les sentiers par où l’on descend à l’océan sont abrupts. A les remonter en plein mois de juillet, ma mère ne goûtait qu’un plaisir contestable. Elle préférait m’attendre au jardin, parmi les buissons d’hortensias aux fleurs énormes et les rosiers qui, après leur prodigieuse générosité de mai et de juin, se préparaient à éblouir septembre. Comme elle avait les joues fraîches, à mon retour, sous mes baisers ! Comme elle quittait gracieusement son livre ou sa broderie pour me regarder et m’écouter ! Dans ces minutes du retour où je lui contais les minimes incidents de la matinée, elle était toute à moi et je m’en réjouissais. Vais-je en laisser déduire qu’à d’autres moments elle m’échappât ? Non point. Il nous arrivait certes, quelquefois, d’abandonner notre bonne retraite de Guéthary pour passer l’après-midi à Saint-Jean-de-Luz, car ma mère ne détestait pas les distractions, et à Guéthary nous n’avions pas de casino. On ne dansait pas tous les jours, ni partout, en ce temps-là, comme on a dansé depuis le 11 novembre 1918. Une fête de danse organisée par un casino prenait vraiment allure de fête, et les jeunes gens n’affectaient pas de s’y amuser : ils s’y amusaient. En de telles occasions, ma mère ne manquait presque jamais de me dire :
— Allons à Saint-Jean-de-Luz, mon petit.
Je m’empresse d’ajouter que c’était moi qui dansais, quand elle insistait, mais non pas elle. A cette époque déjà si lointaine, une mère ne se donnait pas en spectacle à son fils, ce qui ne signifie pas qu’ils s’ennuyaient ensemble. Mais je dois avouer que la mienne, qui ne recherchait aucun hommage, était assez souvent sollicitée, et en tout cas évidemment admirée. Et cela me semblait insupportable ; de quoi je démêlais mal les raisons.