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Les yeux fermés : $b roman

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LXXX

La solitude où Michelle et moi nous étions confinés, dans la villa de Ciboure, d’autres l’auraient et l’ont peut-être jugée trop close. Nous vivions entourés de livres, de brochures, de revues. Nous savions quel grand événement s’inscrit dans l’histoire à la date du 6 juin 1606, ou, ce qui est moins banal, à quelle femme pensait Corneille en composant le rôle de Pauline ; mais nous n’apprîmes que trois jours après tout le monde la tragique démission de M. Alexandre Millerand, président de la République, et nous l’apprîmes par Georges, qui profita de l’occasion pour invectiver contre les partisans béats du suffrage universel. Nul ne s’étonnera si, quant à moi, je m’accommodais d’une existence pareille. Mais Michelle, ma Michelle, pouvait-elle s’en accommoder sans rêver parfois de s’en distraire ? J’y ai songé. Et souvent je lui proposai, soit d’inviter des amis ou des amies pour le temps des vacances par exemple, soit d’aller elle-même pour quelques jours en Bretagne, auprès de sa grand’mère, là où elle est à l’heure présente. Elle refusa. Elle ne voulait ni me quitter ni m’importuner, — nous importuner, disait-elle, — de tiers sans intérêt. Si j’insistais, elle répondait :

— Est-ce que je ne te suffis pas ?

Ou :

— T’ennuies-tu en ma compagnie ?

Adorable réponse, qui m’ôtait mes scrupules. Davantage : il était rare que Michelle exprimât le désir de se rendre à Bayonne ou à Biarritz pour quelque emplette. Si je ne l’y avais pas engagée, et quelquefois instamment, elle ne s’y fût jamais rendue. Elle semblait n’éprouver aucun besoin de sortir de la villa, quand je ne devais pas l’accompagner.

— Nous avons le jardin, disait-elle. Que veux-tu de plus ? Et où serions-nous mieux qu’ici ?

De telles paroles enivreraient un amant après huit ou neuf jours de bonheur. Après huit ou neuf années de mariage, que ne pouvais-je en ressentir ?

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