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Les yeux fermés : $b roman

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LXIX

Sans doute la solitude m’a tenté, hier soir. Il y a trois semaines maintenant que Michelle m’a quitté, sur mes instances, pour aller se reposer, en Bretagne, auprès de sa grand’mère. Et je supporte mal ma solitude. Je parlais, hier soir, du regard de Michelle, qui me manque. C’est Michelle qui me manquait. Son regard ? J’en ai certes toujours la nostalgie, ce soir comme hier, hier comme l’an dernier, et l’an dernier comme aux premiers jours de mon infirmité. Mais quoi ! je sais bien que, si je n’étais pas aveugle, il ne me suffirait pas de tenir sous le mien le regard de celle que j’aime. Je regrette de ne pas le voir, mais je regretterais de ne pas voir au delà. Éternelle inquiétude des amants ! Elle est sans issue. Une phrase me revient d’un roman d’Édouard Estaunié : « Comment découvrir ce qui est là, derrière tes yeux, dans ce cerveau où je ne pénétrerai jamais ? »

Michelle disait :

— Il faut croire.

Et ma mère :

— Il faut aimer les yeux fermés ceux qu’on aime.

Elles ont raison toutes les deux. J’ai les yeux fermés, et je veux croire. J’ai les yeux fermés et, à cette heure où j’aligne des combinaisons de points sur ma feuille de papier, je vois, je vois Michelle dans sa chambre, au premier étage de la maison de sa grand’mère, là-bas, en Bretagne, très loin, et très près parce que je la vois, je vois Michelle qui m’écrit. Elle m’écrit qu’elle m’a quitté depuis trois semaines, que la solitude lui pèse comme elle me pèse, que sa place est à côté de moi, et qu’avant la fin de la semaine prochaine, à sa place, à côté de moi, j’aurai de nouveau ma Michelle. Et nous reprendrons ensemble nos recherches sur les origines de Bérénice, comme si rien ne s’était passé. Ne s’est-il rien passé ? Je suis très calme, ce soir. J’ai peut-être été le jouet de mon imagination qui travaille dans la nuit, et peut-être la victime de mon inquiétude. Que s’est-il passé ? Avant la fin de la semaine prochaine, Michelle sera près de moi. Vais-je continuer le récit de ce que j’ai peut-être eu tort d’appeler un drame ? Mais en aurai-je le temps ?

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