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Les yeux fermés : $b roman

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XXIII

Hier, je n’ai rien écrit. Il faisait trop beau, et j’étais trop triste. Le vent du sud soufflait. On entendait à peine la mer, et la pierre de ma fenêtre était chaude sous mes mains. La marchande de sardines, en passant devant la maison, avait chanté son appel avec allégresse. La journée promettait d’être d’une splendeur sûre. On respirait largement. Comme j’aurais voulu voir le ciel ! A mesure que je vieillis dans ma cécité, je perds le souvenir des nuances. Le bleu du ciel, j’en ai encore une notion assez nette, certes ; mais, pour qui possède ses deux yeux, le ciel a tant de façons d’être bleu ! Interrogée, ma bonne Joséphine n’a pas su répondre. Je ne m’en suis pas irrité. N’était-ce pas plutôt consolant d’observer que, même s’ils ont leurs deux yeux, tous les hommes ne voient pas, ou ne savent pas voir ? Des amis, qui sont venus et ont tenu à m’emmener dans leur voiture à Saint-Jean-de-Luz, croyaient me distraire, parce que Michelle est absente. Ils m’ont fait, sans le vouloir, plus de mal que la pauvre Joséphine. Eux, n’en finissaient pas d’étaler leur admiration. Tout le long de la route, ils s’extasiaient. Au haut de chaque côte, en découvrant un paysage nouveau, ils criaient de joie. Ils sont jeunes, je l’accorde. Mais, plus que leurs cris et leur admiration, c’est le brusque silence tombé tout à coup sur eux, qui me peina. Quelqu’un, sans doute, avait dû croire que leur enthousiasme pouvait m’être cruel, et d’un signe le donner à comprendre aux autres. Ah ! que la pitié quelquefois est mauvaise ! Je préférais leur égoïsme à leur pitié. Ils m’ont gâté la journée d’un seul coup. Tout ce qu’ils ont tenté par la suite fut perdu. Je les devinais attentifs. Je les ai priés de me ramener à Guéthary avant le coucher du soleil, et, pendant le retour, nous n’échangeâmes pas quatre phrases. Le soir, je n’avais plus envie de continuer le récit que j’ai entrepris. Je me suis contenté de relire tout ce que j’en ai rédigé. Ce fut assez long pour me conduire fort avant dans la nuit. Et une question s’est posée alors à ma conscience : pourquoi ma mère, qui m’aimait si tendrement, avait-elle tout de suite détesté ma chère Michelle, que je n’aimais pas encore ? Et pourquoi, si elle voulait me défendre d’aimer, m’avait-elle abandonné si vite ?

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