Les yeux fermés : $b roman
LXXXIII
Nous espérions, Michelle et moi, reprendre à Guéthary, dans notre petite maison où nous fîmes peu de changements, la vie que nous avions menée à Ciboure et que l’arrivée d’Odette interrompit. Nous ne connaissions pas Odette. Elle avait déchaîné la guerre. Elle se hâta de sonner l’armistice. Elle était la joie personnifiée. Elle nous le prouva. Michelle, mécontente, offensée, avait obtenu sans peine de moi que nous n’irions, sinon jamais à cause de Georges, du moins que le plus rarement possible à la villa de Ciboure. Vaine résolution. Nous ne connaissions pas Odette. Nous n’allions pas à Ciboure ? Elle vint à Guéthary. Il ne se passait guère de journée où elle ne vînt, pour dix minutes ou pour deux heures. Elle venait même quand Georges n’était pas libre ; car, férue d’automobilisme, elle lui avait conseillé de s’occuper de vente et d’achat de voitures, et il trouvait à Biarritz, dans la colonie étrangère, une clientèle facile. Chez nous, comme chez elle, elle bousculait tout. Elle houspillait Joséphine, si on ne lui servait pas assez vite une tasse de verveine ou un verre d’eau glacée. Elle tançait Michelle, qui doutait des plaisirs que réserve une dix-chevaux conduite à toute allure sur une route nationale, ou un tango savamment ralenti. Ou bien elle m’attaquait, balayant de la main les fiches étalées sur ma table, me reprochait de séquestrer Michelle et de vivre dans un cocon, et tentait de m’entraîner à quelque promenade dans sa voiture, afin d’y entraîner Michelle. Il est juste que j’ajoute qu’il y avait beaucoup de charme en cette exubérance d’Odette. Nous nous étions trop pressés de la condamner. Elle nous désarmait, et Michelle autant que moi, car elle avait l’air de nous réserver, sous ses bourrades et ses plaisanteries, une affection de choix dans son cœur.