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Les yeux fermés : $b roman

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LIX

Je suis persuadé qu’il eût suffi d’un rien pour éviter le malaise qui s’est perpétué entre ma mère et nous. J’en eus l’intuition, le jour où, avec Michelle, je l’accompagnai à la gare. Le train, comme souvent pendant la guerre, était, annonçait-on, en retard de trois quarts d’heure. Assis côte à côte sur un banc du quai, nous causions modérément de choses indifférentes. Il me semblait que chacun de nous pensait que ces trois quarts d’heure d’attente ne finiraient jamais.

— Comme la Rhune est belle ! dit ma mère.

— On prétend qu’on va y capter de nouvelles sources pour alimenter la ville, répondit Michelle promptement.

Ma mère se tut. Je crus qu’elle regrettait d’avoir parlé devant moi de ce que je ne pouvais pas voir. Pour la tranquilliser, je demandai, le doigt tendu dans la direction de la montagne :

— Est-elle fauve, ou bleue, aujourd’hui ?

Mais que nous étions sots, tous les trois, de ne point plutôt parler de ce qui nous serrait le cœur ! Ni ma mère, ni Michelle, ni moi, n’eûmes la prudence de ne pas gaspiller les minutes qui nous restaient. Quand le train entra en gare, elles étaient toutes gaspillées. Ma mère se leva. J’entendis qu’elle embrassait Michelle. Elle lui dit :

— Au revoir, petite Michelle ! Aimez-le bien.

Sa voix se brisait. Puis à moi, en m’étreignant :

— Et toi, mon petit, pense à moi quelquefois.

Adieux misérables dont il ne me souvient jamais sans que j’aie envie de pleurer, comme sur le quai de cette gare. Que pouvions-nous, Michelle et moi, répondre, qui n’eût été d’une lamentable maladresse ? Nous n’avons rien répondu. J’ai embrassé ma mère, Michelle l’a embrassée à nouveau.

— En voiture, Paris ! criait-on. On ferma des portières. Le train s’ébranla. Tourné du côté de la locomotive, j’agitais la main. Michelle me prit le bras.

— Venez ! me dit-elle.

Et je sentis qu’elle pleurait.

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