← Retour

Diamant noir

16px
100%

V

Des fleurs, des fleurs sur un lit; des fleurs, à foison... Par la fenêtre ouverte, la branche d'un mimosa entre, offrant aussi des fleurs... La lumière est blanche et bleue... La grande ligne de la mer coupe, en plein milieu, le haut cadre de la fenêtre... Les fleurs sur le lit frémissent un peu à la brise qui vient du large, où passent des voiles... L'égal gémissement, plein de caresse, de la mer sur le sable de la plage, semble le battement d'un cœur infini... Près du lit, une flamme brûle, jaune, perdue, impuissante, dans l'éclat du jour bleu et blanc... Sous les draps, le corps de la morte se dessine en lignes rigides; les mains sont croisées sur la poitrine, parmi les fleurs. Les yeux sont clos; les paupières blanches, toutes blanches, dardent leurs cils noirs; la face est belle, d'un blanc mat, irréel, sous les bandeaux d'un noir de jais... Elle dort... mais quel sommeil? Et que dire, dans l'atmosphère vague où les paroles, en frappant l'air, perdent tout sens pour les oreilles humaines?

Nora, au bras de son père, regarde cela de tous ses grands yeux, plus ouverts que jamais...

Elle ne sait pas, l'enfant, mais lui, l'homme, ne sait pas non plus.

—Embrasse-la, dit-il... c'est la dernière, la dernière fois.

Il incline l'enfant vers la mère. Nora la regarde et ne la reconnaît pas.

Cependant, c'est bien elle... mais elle est trop blanche... et puis... elle dort sans respirer!

De cette figure de mère à cette enfant, rien ne s'élance plus. Nora le sent. Sa mère n'est donc plus là? Elle est là pourtant. Aux prises avec le plus terrible des problèmes, l'esprit de l'enfant s'arrête, consterné. Nora regarde, insensible et comme pétrifiée. Elle se voit descendre vers la figure blanche qui est celle de sa mère, et où cependant tout lui est étranger! Voici qu'elle en est tout près, et elle appuie, sur le front, ses lèvres... Oh! ce froid! cette glace dure, mais sèche, ce froid de la vie morte, immobile, sans réponse!

—Maman!

... Nora se rejette en arrière, terrifiée; elle retourne à son père, plonge sa tête dans la chaleur du cou, entre la barbe et les cheveux, prend la chair tiède avec ses lèvres, et, les yeux fermés, elle boit, inconsciemment, mais violemment, la vie retrouvée.

—Allons, c'est assez, nous nous en allons, Nora. Il faut prier le bon Dieu pour elle... Nous ne la verrons plus, plus jamais.

Il descend le large escalier de marbre, portant entre ses bras l'enfant qui pleure, et, au seuil de la villa riante, parmi les lauriers-roses, en face de la mer que la grille du parc raye joyeusement de lignes bleuâtres où s'enchevêtrent les rosiers et les chèvrefeuilles,—il lâche, comme un oiseau, la fillette, en lui disant:

—Va jouer avec tes grands chiens qui sont si bons pour toi. Tiens, voici Junon et voilà ton vieux Jupiter... Accompagnez-la, mademoiselle Marthe, mais qu'on ne sorte pas du parc aujourd'hui.

Et comme elle a huit ans à peine, Nora, qui pleure, saisit à deux mains la queue de Jupiter. Jupiter se retourne et, d'un grand coup de langue, baise en plein visage l'enfant qui tombe assise. Elle éclate de rire, et ses larmes, qui luisent au soleil, roulent jusque dans sa bouche gaie, ouverte et toute rose.

Chargement de la publicité...