Diamant noir
XX
Apprendre à lire, à écrire, à compter, un peu d'histoire sainte et pas beaucoup de géographie, et à se tenir droite à table,—voilà le programme d'études de Mlle Nora.
Ce programme n'est pas chargé et comme on a du temps devant soi pour le réaliser, comme son institutrice n'est pas pressée d'en finir, Mlle Nora a beaucoup de temps pour jouer.
Elle ne joue guère. C'est «une enfant maussade,» dit l'institutrice. A la vérité, c'est une enfant rêveuse, aimante, fière, et qui a eu, à huit ans, le plus grand chagrin possible. Elle a été trahie, puis abandonnée par un homme, qui est son père.
Elle n'a de plaisir qu'en la compagnie de Jupiter... Comme on compte sur Jupiter, on permet à Nora de courir seule dans le parc et même un peu au dehors. On sait très bien que Jupiter ne la laisserait pas se perdre dans la montagne ou se noyer dans la mer. A preuve qu'un jour où elle était tombée, le nez contre terre, il l'a saisie dans sa gueule, et l'a tranquillement rapportée à la maison. C'était si drôle qu'elle en riait aux éclats. Car elle rit encore parfois, sans que jamais son œil perde sa fixité ni sa noirceur de rêve, d'au delà.
Elle se promène dans les bois de chênes-lièges aux troncs rougeâtres; elle écoute, durant des heures, assise près de Jupiter, la grande plainte ondulante des pins, qui répond au bruit de la mer; elle regarde la grève immense et triste, où vient mourir la vague roulée sur elle-même; elle suit des yeux les barques lointaines, voiles éployées, qui s'en vont tout là-bas, elle ne sait où, dans des pays que nomme très bien Mlle Marthe quand elle ouvre un atlas... Le vent passe, les arbres chantent, la mer murmure, les voiles disparaissent, et la petite fille est toujours là, l'œil grand ouvert sur le vide, tout noir sans doute, où vont les mamans, quand elles sont mortes....