Diamant noir
LVIII
C'est une terrible petite personne que Nora, un mélange singulier d'instincts impérieux, d'intelligence subordonnée, de haine et d'amour, de tragique et de gai. Elle a besoin d'un maître, elle le sait et n'en veut point, mais elle a peur de perdre Guy, elle l'aime et s'écrase, après les révoltes, en des humilités inattendues, qui le charment, l'attendrissent, le rendent tout entier, d'un seul coup, à celle dont, par instant, il se croit détaché pour toujours.
—Je vous ai acheté une poupée, Nora.
Une poupée! Nora est furieuse!
—Vous vous moquez toujours de moi, Guy!
Alors, Guy comprend qu'il a, cette fois, dépassé la mesure... Il change brusquement de langage. Il faut, paraît-il, mentir un peu, quand c'est pour le bien d'une enfant qu'on aime. Ainsi pense le diplomate.
—Non, non, rassurez-vous, Nora, et pardonnez-moi ma mauvaise plaisanterie.—La vérité, c'est que j'ai promis une poupée à la petite fille d'une personne de mes amies dont je vous ai parlé et qui habite Hyères en ce moment; et j'ai pensé que vous voudriez bien, pour que mon cadeau soit moins banal, habiller ma poupée de vos jolies mains.
—Ça, je veux bien, dit Nora rassurée.
—En même temps, je vous ai rapporté à vous un petit cadeau: un nécessaire avec lequel vous coudrez, j'espère, le trousseau de mademoiselle Debois... (c'est le nom de la poupée). Il y a des ciseaux, un dé, un étui, un poinçon. Tout cela est ancien et a dû servir, il y a cent ans, à quelque douairière en cheveux poudrés.
Et voilà Nora qui taille, coud, brode et repasse même le trousseau de Mlle Debois.
Mlle Debois est une poupée de très grande taille.
Guy, souriant, regarde à l'œuvre la petite maman. C'est, il est vrai, un charmant spectacle.
Cela dure une semaine, au bout de laquelle Guy déclare que la poupée est bien pour Nora, non pas pour une autre, et qu'il est heureux de la lui offrir maintenant qu'elle est bien vêtue. Il ajoute qu'il a pu juger de l'habileté de Nora à tailler et à coudre, qu'il en est ravi, et qu'il la félicite sincèrement.
Alors Nora se fâche tout de bon. Elle déclare qu'elle n'est plus une petite fille, que Guy l'a trompée, qu'elle ne veut pas de poupée, et enfin qu'elle est en âge d'avoir un enfant pour «de vrai!» un enfant à elle... Elle l'élèvera mieux qu'on ne l'a élevée elle-même, et il ne mentira pas, comme Guy vient de mentir à Nora!
Là-dessus, elle saisit la poupée par les deux pieds, et elle lui casse la tête contre le marbre de la cheminée.
Guy trouve cette violence déplorable,—mais Guy est faible, il aime, il est amusé, il finit par admirer les sottises qu'il prétend blâmer. Et, en souriant, il conclut à part lui que Nora pourra faire une excellente petite mère, et qu'il est temps de demander sa main à M. Mitry. Sans doute il n'a pas réformé son éducation. Sans doute il y a, de temps à autre, dans les yeux de Nora, de brusques montées d'on ne sait quelles ténèbres où flottent d'inquiétants appels, peut-être la puissance des trahisons, à coup sûr l'incertitude de l'instinct, l'onde trouble du féminin éternel,—mais Guy a toujours cru que l'amour entier d'un cœur d'homme, sain et sûr, est plus puissant que toute la femme, et lorsque Nora sera complètement sienne, il deviendra, sans peine,—rien n'est plus certain,—le maître triomphant.
Guy est trop orgueilleux, il a, de tout temps, été trop aimé, pour croire autre chose.