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Diamant noir

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III

Ce matin, pendant qu'elle dormait, son père était venu la voir; il l'avait baisée au front, et il était reparti sur la pointe du pied.

Maintenant, il l'attendait, en bas, au salon, assis, les bras pendants aux deux côtés de son fauteuil; et, par la fenêtre ouverte, il regardait l'espace, la mer, dont le grand bruit monotone rythmait sans cesse la vie de cette grande villa; il écoutait aussi le murmure pareil des pins dans le parc clos de grilles.

Il revoyait tout son passé depuis neuf ans.

Quand il avait connu Thérèse, fille d'un éminent avocat de Paris, elle avait seize ans. Deux années plus tard, il l'avait épousée. Infiniment docile et aimante, subissant avec une passivité touchante toutes les volontés de son mari qui semblait un énergique mais qui était plutôt un violent, elle ne lui avait résisté—oh! si peu!—qu'une seule fois. Ç'avait été lorsqu'il avait voulu lui faire rompre toutes relations avec ce jeune Lucien Houzelot qu'elle avait connu enfant. François Mitry avait pris ombrage de cette affection, il en avait exigé le sacrifice, mais il avait fallu que lui-même un jour priât le jeune maître (Lucien Houzelot était avocat) d'espacer un peu ses visites. L'autre, alors, brusquement, avait disparu. Thérèse s'en était montrée très affligée, et François, aujourd'hui, regrettait amèrement d'avoir fait à sa morte ce chagrin-là, ce chagrin demeuré unique.

Cela s'était passé dans les premiers temps de leur mariage. Et, depuis.... Il avait beau regarder attentivement la suite des jours, des heures, il ne voyait que soumission, tendresse, souci de plaire et joie d'aimer, dans les moindres actes de la vie de Thérèse. La maison s'était de bonne heure égayée de la présence de l'enfant; et dans son hôtel de Paris, où il rentrait fatigué de mille affaires, dans leur villa de Provence, sur la plus belle plage du département du Var, à Cavalaire, où ils passaient chaque année un mois d'été et deux mois d'hiver, leur vie avait été un véritable enchantement....

François Mitry était banquier, mais ce banquier était, avant tout, un amoureux et un artiste. L'or n'était pour lui qu'un instrument. Il jouait de sang-froid avec les affaires les plus compliquées et les plus graves, les considérant comme le moyen, ennuyeux parfois, mais certain, de se procurer les plus délicates jouissances de la vie. Les chèques, pour lui, c'était des voyages, de beaux ciels, de beaux tableaux, des sites émouvants, des fleurs surtout, des fleurs en toute saison, et jamais Thérèse n'avait oublié d'en orner à profusion leur table, étincelante d'un joli luxe choisi.

Fini, tout cela, maintenant. Mais quoi! il était un homme et il le ferait bien voir. La vie est dure pour tous, la destinée est rude aux hommes plus qu'elle ne l'avait été à lui-même. Ce bonheur de neuf ans, c'était autant de pris sur l'ennemi inconnu qui s'acharne à faire le tourment des êtres, et qui avait permis cependant que sa première jeunesse fût comme un beau rêve. Sa fille lui restait, sa Nora, la fleur vivante du passé, tout son avenir; il allait travailler pour elle, vaillamment, pour elle seule.

.... Et puis, qu'elle fût morte, la bien-aimée, Thérèse, sa chère femme adorée,—au fond il ne le croyait pas encore.... Est-ce qu'on meurt?

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