Diamant noir
LXI
Guy et Nora sont à Paris, mariés depuis peu de jours.
Il lui parle.
Elle écoute avec son air, charmant et grave, de petite fille qu'on a habillée en dame avec des robes trop longues.
Lentement, tendrement, Guy conte à sa petite femme tous les détails du roman de Mitry.
—Vous comprenez bien, n'est-ce pas, petite Nora? Afin de bien juger, oubliez un instant que je parle de votre père. Un homme croit en sa femme; il l'aime passionnément, et quand elle est morte, il découvre que, pendant neuf ans, il a vénéré, adoré un être indigne... Son enfant n'est plus son enfant!...
—Oui, dit Nora. Je comprends. C'est horrible et je plains le malheureux. Et cependant...
—Cependant quoi?
—Il devait croire en lui-même, en lui et en elle, et brûler les lettres.
—Mais le feu vite éteint les lui a rendues!
—Il devait rallumer le feu, dit Nora, haussant l'épaule.
—Mais la passion, la jalousie, Nora?
—Je parle selon ce que vous m'enseignez, Guy; il devait brûler les lettres. Une femme, une morte, le lui commandait. Il devait obéir. Je le plains, oui, certes, mais il a failli. Et le malheur s'en est suivi.
—Et c'est tout, Nora?
—Tout?... comment?
—Vous n'avez rien d'autre à me dire?... Votre père, Nora, ne vous fait-il pas pitié?...
—Oh!... pitié!... dit-elle. Oui, mais presque comme un étranger... C'est à peine du reste si je le connais. Il ne m'a jamais beaucoup parlé. Il m'a fait souffrir beaucoup... Tenez, Guy,—laissons ce sujet.
Et elle ajoute, d'un air profond:
—Il y a des choses qu'on ne refait pas.
Guy trouve Nora un peu dure de cœur, et pourtant,—chose étrange!—cette inflexibilité ne lui déplaît pas absolument. Même dirigée contre un père, cette sévérité nette sur une question de devoir, d'amour et d'honneur, lui semble avoir du bon. Enfin Nora n'aime que lui, voilà ce qui le charme surtout!
Cependant, un autre jour, elle lui dit tout à coup:
—Commettriez-vous une infamie pour moi, Guy?
—Vous ne la demanderiez pas, dit-il.
—Si! si! je veux toutes les preuves d'amour... Celle-là, je ne la veux pas en ce moment, mais il faut que je sois sûre que si je le demandais, vous manqueriez pour moi à vos plus graves devoirs!
Avec toutes les peines du monde, Guy empêche que cette conversation ne dégénère en querelle, et, pour parler d'autre chose, il prononce au hasard le nom d'une femme qu'une aventure retentissante livre en ce moment aux curiosités publiques... Les débats du procès en divorce, rapportés par les journaux, révèlent des intrigues basses, assez compliquées.
—Avez-vous lu ce procès, Nora?
—Oui, dit-elle. Et ce qui m'amuse, c'est le ton scandalisé de vos journaux là-dessus... Tout le monde sait bien pourtant que la plupart des femmes en sont là!... Le fait,—conclut Nora,—est aussi fréquent qu'il est naturel!
Guy est stupéfait de ce ton d'expérience. Nora professe son opinion avec un calme ingénu, qui épouvante l'époux. Il reconnaît ses anciennes idées de célibataire! Il trouve inouï que Nora les ait, blessant qu'elle les professe,... et touchant qu'elle les avoue!
L'unité morale est loin d'être faite en Nora. Des volontés parfaitement contradictoires sont en elle, et il peut être déconcertant de l'écouter. Sa nature primitive la sollicite vers la passion pure, amour, haine, colère, rancune; sa nature acquise, celle qui se développe en elle au contact de l'homme à qui elle veut plaire, lui donne parfois les attitudes d'une tendresse, d'une générosité, d'une noblesse qui ne sont pas siennes encore.
Guy le sent bien, que Nora a deux âmes. Une petite âme obscure, toute d'égoïsme et de ruse, formée par les seuls éléments et instruite par Gottfried; une autre, de tendresse et de dévoûment, naissante encore et nébuleuse, qui lui vient de Guy... et même de Jupiter.
Laquelle dominera l'autre? Guy s'interroge hélas! et parfois s'épouvante.