Diamant noir
LXVIII
Durant ce séjour d'une année qu'ils firent dans le pays d'enfance de Nora, elle reprit les allures libres que, forcément, dans les villes, elle avait abandonnées un peu. Et, tout l'été, ce furent des bains sur les plages blanches, dans les belles vagues bleues.
Elle le conduisait au fond des calanques ignorées, qui lui étaient familières. Ils nageaient côte à côte. Souple comme la vague même, elle le frôlait, l'entourait de caresses mêlées pour ainsi dire à l'eau. Elle voulut se baigner nue, dans des endroits déserts, seulement pour la joie de retrouver ses mouvements de jeune bête libre. Quand il commençait à juger ses folies absurdes, trop hardies, à craindre le regard d'un passant, d'un pêcheur, au moment où ils retournaient à terre, alors, purement tendre, avec le charme attirant d'une femme amoureuse, et la grâce d'une petite âme servante, elle se mettait à genoux, inclinait la tête, et baisait ses pieds nus, lavés par la lame expirante, les essuyait de ses longs cheveux..... maligne au fond, jouant les Madeleine, se sachant très bien désirable ainsi.
Puis elle sautait comme un enfant.
Et lui, converti aux joies sensuelles de la simple nature retrouvée, grondait à peine, ravi intérieurement, oubliant tout.
Un jour, comme il venait de reprendre ses vêtements, il tourna la tête, au cri de Nora.
Elle s'était rappelé ses anciennes folies de fée des eaux et des bois. Et elle était toute nue, adorablement jolie, debout entre les basses branches d'un chêne, à la lisière du bois solitaire. Et c'était exquis à voir, ce corps fin, léger, chaste et blanc, dont le rayonnement doux faisait, de toute l'ombre du bois, profonde derrière lui, une ombre sacrée.
Charmé d'abord, il rit, puis gronda. «Quelles étaient ces folies? qui les lui avait apprises?»
—Si ce sont là vos jeux d'autrefois, il serait temps de les oublier! Êtes-vous donc une sauvage!... Nous ne sommes pas dans un désert, ici?
Et tandis qu'elle se rhabillait:
—C'était pour toi! disait-elle boudeuse, du ton d'un gamin qui n'a rien cru faire de mal, ayant mal fait dans l'intention de plaire...
—Enfin, franchement, trouvez-vous cela bien, Nora? répondez.
Elle se tut longtemps.
—Je ne trouve là rien de mal.
—Et croyez-vous, dit-il, que je serais heureux si quelqu'un vous surprenait?
Elle garda le silence.
—Veux-tu répondre, à la fin?
—C'est, dit-elle ingénument, que je ne sais jamais ce qu'il faut répondre pour te plaire.
—Mais, malheureuse enfant, il ne s'agit pas de répondre habilement des mots destinés à me plaire, et que vous ne pensez pas! il faut n'avoir en vous que des pensées qui me plaisent!
Elle se mit à rire aux éclats.
—Ce sera peut-être long, Guy!... Mais avec le temps. Et puis... tu ne t'y prends pas toujours bien. Tu raisonnes trop!
Et tous deux riaient ensemble, quand la saillie de Nora paraissait drôle à Guy désarmé.
En ce cas, elle en profitait pour prendre ses revanches et il lui arrivait de dire, sur le ton du dompteur commandant à ses bêtes préférées:
—A votre tour, Guy, obéissez!... A genoux!... Baisez ma main!...
Il se prêtait souvent à ces exigences d'espiègle, mais ne se courbait jamais moralement à la traiter comme une femme faite, dont l'âme est une et distincte. De cela, qu'elle sentait très bien, elle gardait une sorte d'impatience permanente. Mais lui, il luttait toujours, et il retombait, par tous les chemins, à l'idée terrible: «Que ferait-elle un jour pour d'autres, celle qui faisait tout ceci pour lui?»