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Diamant noir

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Franchement, elle n'est pas commode, la situation de M. de Fresnay. Il s'en rend bien compte maintenant. La politique de l'Europe lui a donné autrefois moins de fil à retordre que cette petite fille. Le plus difficile, le voici: il faudra professer, gourmander, raisonner, il faudra punir peut-être, et ne point paraître ennuyeux. Il sent très bien que toute sa science de diplomate ne sera pas de trop ou plutôt qu'elle ne lui servira de rien! Il devra inventer, de toutes pièces, un système politique... Du reste, après en avoir conféré longuement avec lui-même, il est résolu à donner, s'il le faut, sa démission d'amoureux, comme il a donné celle de ministre.

Les invités de Mitry ne sont pas partis encore, sauf les Morigny. Louvier a trouvé spirituel, avec raison, de ne pas fuir tout de suite et de passer quelques jours encore à la villa, de se montrer gentil avec Nora, comme elle le désire, sans rancune. Il croit que son rival heureux c'est ce jeune Alfred. Et Nora le confirme dans cette erreur en se montrant gentille avec l'adolescent surpris. Elle ne raisonne pas cette attitude; elle l'a prise d'instinct. Elle cache son amour pour Guy.

Avec son père elle est, comme à l'ordinaire, très froidement polie.

Guy lui fait observer qu'elle pourrait, sachant qu'il a de grands chagrins, lui témoigner un peu de sympathie. Elle répond nettement:

—Je ne peux pas, c'est plus fort que moi. Ce n'est pas ma faute.

—Soyez bonne, réplique Guy.

Elle s'adoucit.

—J'essaierai pour vous faire plaisir... mais avec lui, non, je ne pourrai pas.

—Voyons, Nora!... vous avez promis d'obéir.

Elle le regarde d'un air un peu narquois. Un petit diable apparaît, blotti dans son regard:

—Oh! il faut toujours promettre! dit-elle.

Guy demeure interloqué. Elle le regarde encore d'un air moqueur, et lui échappe en riant.

Elle court jouer au tennis.

Guy assiste à la partie, assis, avec le général, sous un abri rustique, arrangé pour les spectateurs.

Et plusieurs fois il surprend Nora bizarrement familière avec le jeune Alfred. Une fois elle monte sur un banc pour lui renouer sa cravate, et quand c'est fini, elle pince le bout de sa moustache naissante qu'elle tire un peu, gentiment... d'un air malicieux. C'est comme une caresse qui ravit le jeune homme et qui fait ressentir à Guy un petit coup douloureux frappé dans son cœur, tout au fond.

Une autre fois, M. Alfred se baisse en même temps que Nora pour ramasser la balle. Elle s'appuie sur le jeune homme en lui serrant le bras, et se relève sans le lâcher. Puis, comme la balle, renvoyée, demeure accrochée dans une branche de pin, elle prie M. Alfred de la prendre par la taille et de la soulever, pour qu'elle puisse y atteindre. Il le fait, mais la main de Nora n'arrive pas assez haut. Alors ce sont des rires à n'en plus finir, et, pendant un temps qui semble interminable au malheureux Guy, la mignonne reste entre les bras d'Alfred qui, visiblement, la presse, très content.

Et lorsqu'un peu plus tard Guy, dans le hall où il l'a entraînée, dit à Nora que cela «ne doit pas se faire...» elle le regarde, étonnée.

—Tiens! vous êtes donc jaloux?

—Tout simplement. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Ces attitudes garçonnières sont intolérables.

—Pour qui?

—Pour tout le monde. Tout le monde les blâmera... Et en vous voyant si hardie avec lui, soyez sûre que la mère d'Alfred hésiterait à vous donner son fils.

—Je n'y tiens pas! fait Nora qui se garde de protester contre l'idée qu'elle pourrait bien épouser ce jeune homme.

—Alors, pourquoi l'encouragez-vous?

Elle regarde Guy de travers, et, en haussant l'épaule:

—Ainsi, vous êtes jaloux, tout de bon?

—Je vous ai déjà répondu que oui.

—Eh bien, moi, fait-elle sèchement, je vous dis que c'est bête... bête et ennuyeux! insiste-t-elle.

Le visage de Guy s'attriste.

—Mademoiselle Nora, dit-il, vous m'avez montré beaucoup d'affection. Je vous en suis reconnaissant, mais l'affection qu'une petite fille a pour un grand ami n'autorise pas l'enfant à faire souffrir l'homme, ni à lui manquer de respect, par pur caprice, pour se démontrer à elle-même son pouvoir. Il y a une sorte de respect tendre que j'ai pour vous, et qu'il faut avoir pour moi. Je vois bien où est le mal: Monsieur Gottfried ne vous respectait pas, et vous ne respectiez pas monsieur Gottfried.

—Vous êtes méchant! dit Nora, frappant du pied.

C'est son mot et son geste habituels.

—Mais, poursuit Guy, il y a une grande différence entre un monsieur Gottfried et moi... nous n'insisterons pas là-dessus, si vous le voulez bien. Je ne vous autorise pas à me montrer des insolences d'élève indisciplinée. Je désire vous traiter comme une jeune fille que j'aime et que je veux aimer longtemps, et non pas comme un méchant petit garçon indocile et insolent, qu'on aurait envie de battre!

Elle hausse l'épaule violemment:

—De battre? je voudrais voir ça! siffle-t-elle, comme un petit serpent corail dressé sur sa queue.

Guy se met à rire.

—Il ne faudrait pas, dit-il, me traiter souvent... comme un Gottfried... car je me fâcherais pour sûr. Voyons, dit-il,—riant toujours,—retirez-vous le mot «bête», qui m'a blessé?

—Je répète, réplique Nora, que la jalousie, c'est bête.

—Au fait, répond-il de l'air d'un homme qui, convaincu tout à coup par l'adversaire, renonce à un point de vue personnel... Au fait, c'est bien possible. Et cela ne vaut pas une discussion... Revenez-vous au jardin? on sert le goûter.

Nora qui, pour résister à Guy, apprêtait de grandes forces, est toute décontenancée de n'avoir pas à les employer. Elle le suit, un peu inquiète. Il marche et parle d'un ton très naturel. Et comme, à ce moment même, M. Alfred, tout échauffé, s'approche d'un air galant, Guy l'accueille avec beaucoup d'amabilité et ne s'éloigne que lorsque Nora ne peut quitter sans impolitesse le jeune homme en train de lui conter un incident du jeu.

Tout à coup Nora devient pâle. Ses yeux se tournent obstinément vers Guy. Elle n'écoute plus son interlocuteur. Elle ne tient plus en place et trépigne dans le gravier. Quel est donc le spectacle qui l'impressionne si fort?

Guy, là-bas, s'est approché de la femme de l'avocat, et, avec sa jolie aisance, il s'est mis paisiblement à lui faire la cour. Il n'a aucune peine à lui plaire tout de suite. La jeune femme est, dans le même moment, flattée, charmée, séduite, et répond, du tac au tac, si gracieusement que le diplomate lui prend la main qu'il attire vers ses lèvres, et c'est le poignet qu'il baise. Nora continue à piaffer sur place comme un petit cheval.

Et tout à coup, elle va droit à Guy, et, bien haut, devant tout le monde, avec sa dramatique audace de petite fille qui a toujours tout affronté, même la mort:

—Vous, embrassez-moi! lui dit-elle.

On n'en est plus à s'étonner des espiègleries de Nora, et tout le monde se met à rire. Du reste, l'air enfant de Nora sauve toutes ses témérités. Elle le sait bien. Si elle était un peu plus grande, elle n'aurait pas les mêmes droits aux gamineries. De ce qu'elle croit un désavantage physique, elle fait une force et un moyen, la rusée!

—Embrassez-moi donc, répète-t-elle... C'est une idée que j'ai. Vous verrez.

Guy, un peu surpris, ouvre de grands yeux, et reste immobile.

Et pour répondre à l'air un peu mécontent de celle qu'elle appelle l'avocate et à qui elle prend son partenaire:

—Nous sommes de vieux amis, vous savez, monsieur de Fresnay et moi. Il y a bien cent ans que nous nous connaissons! Moi, j'en avais huit, n'est-ce pas, Guy?... Allons, plus vite! embrassez-moi.

L'air et le ton autoritaires d'une si petite personne sont tout à fait réjouissants.

Ma foi, Guy fait bonne contenance, et, prenant la petite tête entre ses deux mains, comme on fait à un enfant, il l'embrasse sur les deux joues. Elle, alors, entourant son cou à deux bras, le retient une seconde et lui glisse à l'oreille, bien bas, avec la voix qui trouble:

—Quitte cette femme; je suis jalouse; oui, c'est bête! mais c'est comme ça.

Cela dit, elle le laisse aller, et reprend tout haut:

—Voilà. Le tour est joué. Je voulais seulement vous parler à l'oreille. C'est fait.

Puis, mettant un doigt sur sa bouche, d'un air espiègle:

—Surtout, n'en dites rien!

Guy, désolé, est enchanté. Il commence à se dire qu'il n'y aura qu'une chose à faire: aimer.

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