Diamant noir
II
—Il faut vous habiller, mademoiselle Nora.
—Est-ce que maman est revenue?
On avait fait croire à l'enfant, depuis la veille, que sa mère, qu'elle avait vue si malade, était en voyage. Elle était partie pour se guérir....
—Oui, mademoiselle Nora, c'est-à-dire non... Votre père vous expliquera, répondit Mlle Marthe embarrassée.
Elle était très forte sur les dates, Mlle Marthe, mais les questions l'embarrassaient vite quand elles ne se trouvaient pas dans ses livres de professeur. Et comme elle était très bonne, elle se mit à pleurer, tout en habillant la fillette, avec l'aide de la femme de chambre, Catherine, que Nora appelait Catri.
A la hâte, on avait déjà préparé, taillé, cousu, une petite robe noire. Dès qu'elle la vit:
—Elle est vilaine! dit Nora, avec une moue tout à fait expressive.
Mlle Marthe se prit à pleurer plus fort.
—Vous aussi, fit Nora en la regardant de côté, vous êtes vilaine.... quand vous pleurez!
Catherine sourit, Mlle Marthe fit la grimace.
—Oh! dit Nora, la regardant encore, tout à fait vilaine.... N'est-ce pas, Catri?
—Il ne s'agit pas de plaisanter, Nora, fit l'institutrice. Tout le monde pleure aujourd'hui dans la maison, parce que votre maman....
—Est-ce qu'elle est morte? demanda brusquement Nora, saisie d'un grand trouble et tout près de pleurer elle-même.
Certes, elle avait vu des bêtes mortes, mais cela lui avait semblé l'état naturel et même désirable des animaux que l'on doit manger. Pour elle, mourir, c'était devenir immobile, mais ce mot, appliqué à la personne humaine, tout en n'appelant dans son esprit aucune image pénible, entraînait cependant l'idée d'absence prolongée.
—Alors, dit-elle, je ne la verrai plus,... puisqu'on ne voit jamais les morts?
Elle s'était tournée vers Catri, cette fois, et, assise sur son lit, ses mignonnes épaules rondes et blanches sortant des bretelles d'un petit corset souple, elle attendait la réponse, ouvrant les yeux démesurément comme pour mieux comprendre.
—Allons, dit Mlle Marthe, mettons la robe à présent.
—Non, non! dit Nora, martelant le mot, et l'appuyant avec malice d'une saccade de sa jolie tête et de tout son corps.
Puis, haussant d'un mouvement mutin sa mignonne épaule:
—Je veux savoir d'abord où est maman?
C'était un petit caractère impérieux.
Elle était toute brune, l'œil très noir, avec un air volontaire et décidé. Elle n'obéissait vite qu'à son père et à sa mère, discutant les ordres de toutes les autres personnes, d'ailleurs traitée en infante par ses parents.
Marthe comprit qu'on n'en finirait plus.
—Votre père vous demande, mademoiselle Nora, et c'est pour aller voir votre pauvre mère....
Alors, tout de suite, Nora se laissa prendre ses deux petits bras inertes qu'on enfonça non sans quelque peine dans le fourreau des deux manches noires.