Diamant noir
LXXIII
A l'Opéra, Émile Louvier épiait vainement l'entrée de Nora; et Guy ne connut jamais ce détail de sa victoire.
Ce même soir, un peu plus tard, Nora disait:
—Vous aviez l'air très méchant, tout à l'heure, Guy!
—Vous aussi, Nora.
—Est-ce que vraiment vous pourriez me tuer, dans ces moments-là, dites, ou si c'est un jeu?
—C'est un jeu... dangereux, Nora.
—Ah! fit-elle songeuse, tant mieux!
—Et pourquoi? dit-il.
—Je sens tout votre amour, mon Guy bien-aimé, à vos colères.
A ce moment, il vit briller quelque chose sur le tapis. Il quitta son fauteuil, et alla vers cette étincelle. Il se baissa.
—Diable! dit-il, vous avez perdu, dans la lutte, votre bijou le plus précieux!
—Le diamant noir? dit-elle. Oh! il ne pouvait se perdre ici.
Guy fait rouler entre ses doigts la longue tige d'or, et le diamant noir, tournoyant, jette tous les feux de son âme sombre.
—Il vous ressemble ou vous lui ressemblez, dit-il lentement.... Restez pareille à lui, ma Nora, toujours. Soyez un cœur que rien n'entame... Que les ombres de votre vie fassent votre noblesse rare... Votre mère, déjà, de visage et d'âme, ressemblait à ce diamant. Soyez comme elle, à jamais, Nora,—et comme lui.
Il lui tendit le joyau:
—Que de souvenirs il évoque! dit-il encore, et que de pensées il suggère!... Ne vous parle-t-il pas, Nora?
Elle avait maintenant un visage calme. Une bonté était dans ses grands yeux. Les démons avaient fui. Elle était revenue à Guy, tout entière, comme la petite fille d'autrefois.
Elle prend le bijou, le regarde, rêveuse, un long moment.
Et le diamant noir, en effet, lui parle:
—Reste à moi pareille, dit-il. Reste semblable à ta mère. Ton père follement s'est cru trahi par elle et, à cause de cela, sa vie et la tienne ont été douloureuses. Qu'est-ce donc qu'une trahison de femme, pour qu'il en sorte tant de douleur! Et Guy t'a consolée. Autant que Jupiter, Guy a été bon pour toi. L'aurais-tu froidement remplacé par un autre, le fidèle cœur de ton chien? Il y a un amour, Nora, plus grand que l'amour. Les cœurs qui le conçoivent sont pareils à moi, un peu sombres sans doute, mais purs et précieux, rares et beaux.... Reste, Nora, semblable à ta mère et pareille à moi.
—Mon Guy, dit tout à coup Nora, très grave et très simple, écoutez-moi bien. Je jure sur ce diamant, souvenir de ma mère, que je resterai digne de lui, pareille à lui, comme vous dites. Et plutôt mourir, Guy,—vous m'entendez!—plutôt mourir que manquer à mon serment!
Elle se lève, remet le diamant dans l'écrin et tendrement revient vers Guy, l'enlace de ses deux bras, pose la tête sur sa poitrine:
—Le crois-tu sérieusement, Guy, que cela serait possible! Que je pourrais aimer quelqu'un encore, après t'avoir tant aimé, toi, mon maître, mon guide et mon dieu?
—La vie est forte, Nora. Elle agit quelquefois en nous sans le consentement de nos cœurs!..... Et puis, pourquoi ta jeunesse, après moi, n'irait-elle pas vers une autre jeunesse?... Je ne souhaite que ton bonheur!
Il lisse les cheveux de Nora sous la caresse lente et tendre de sa main.
—Moi, je ne peux pas le croire, dit-elle... Je suis même sûre que non, ô mon maître adoré!