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Diamant noir

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XLIX

Le lendemain matin:

—Si jamais l'envie vous reprend d'approcher trop de moi votre vilain museau, monsieur Gottfried, vous recevrez—j'en suis fâchée,—mon encrier lui-même sur votre tête. Vous apprendrez que je sais me défendre, quand je veux; et, selon vos honorables principes,—par la force comme par la ruse.

—Mais, mademoiselle...

—C'est fini, ça. Si vous croyez que je ne sais pas ce qui vous agite...

—Et qu'est-ce, mademoiselle?

—Peut-être bien la Volonté de l'espèce, monsieur Gottfried, achève Nora en éclatant de rire, mais pour sûr le désir d'épouser ma dot! Seulement, voyez-vous, monsieur Gottfried, je bois du vin rouge, moi, et je ne me nourris pas d'andouilles, quand elles seraient de Souabe.

—Celles de Souabe sont les meilleures, dit Gottfried ingénument.

Il ne manque jamais d'exprimer cette opinion.

—Vous seriez tout à fait gentil, monsieur Gottfried, de renoncer à vos petits projets, et de donner votre démission. Car je vous ai assez vu, monsieur Gottfried, et si vous ne vous en allez pas de bonne grâce, monsieur Gottfried, je vous en ferai voir de si drôles,—que vous n'aurez plus qu'un désir...

—Et lequel, mademoiselle?

—Celui de Rückert, monsieur Gottfried: des ailes! des ailes! des ailes!... des ailes pour filer plus vite!

Ainsi finit la leçon de ce matin, qui n'avait pas commencé du reste, et Gottfried, abasourdi, s'en va tenir conseil avec sa sœur.

—Mes affaires marchaient si bien... Tous ces étrangers qui envahissent le château depuis plusieurs jours, ont tout gâté. C'est ce petit Émile qui a fait tout le mal, pour sûr.

—Je le crains, dit Marthe.

Pendant ce temps, Nora a rencontré Émile au jardin.

Il se rapproche d'elle et dit:

—Il fait beau ce matin, mademoiselle Nora.

Cette réflexion de Louvier est fort juste. Le ciel, en effet, est très bleu.

—Pas pour vous, non, pas pour vous, réplique Nora. Le temps s'est gâté pour vous aujourd'hui.

—Comment l'entendez-vous, mademoiselle? dit Émile, piqué.

—Tenez, monsieur Émile, je suis une personne très petite, mais j'ai une grande volonté... Oh! vous ne me connaissez pas! je veux ce que je veux, et ce que je veux, je le dis. Vous ne me déplaisez pas, bien sûr, mais je ne suis pas folle de vous, non plus... Eh bien, voilà, j'ai fait la coquette avec vous pour en exciter un autre! c'est très mal, mais c'est comme ça.

Et d'un petit air entendu, tout à fait risible:

—On est femme, vous savez... nous sommes toutes comme ça! Ce qui m'amusait hier avec vous ne m'amuse plus. Alors je viens vous dire: Ne me rejoignez plus dans les coins, n'ayez pas l'air de vous entendre avec moi,—surtout n'essayez plus de m'embrasser... je ne veux plus!

Et d'une voix creuse, Nora ajoute:

—Ça en fait souffrir un autre!

—Alors, dit Louvier, froissé, je vous ai servi de jouet, tout simplement?

Elle le regarde d'un air narquois:

—Ça n'était déjà pas si ennuyeux!

Puis redevenant sérieuse:

—Tenez, vous prenez de travers un aveu très gentil, très bon garçon de ma part, monsieur Louvier. Vous manquez d'esprit en ce moment. Vous n'avez qu'à sourire, à me tendre la main et à me promettre d'agir comme je vous demande. Est-ce dit?

Il y a, en amour, différentes méthodes françaises; il y a la hussarde, qui n'est pas la moins estimable. Elle est très pratiquée, et, pense Louvier, elle réussit souvent, même aux dragons.

Il saisit l'enfant par la taille et la presse. Il est fort, il est sûr de lui, il cherche sa bouche.

Mais il a compté sans la souplesse, l'agilité, la nervosité, la rapidité de mouvement de la petite diablesse noire qui se tortille, glisse sous son bras, à travers ses mains, crible ses jambes de menus coups de pied précipités, lui égratigne les mains et la joue, tire de-ci, de-là, sa moustache et sa barbe, harcèle en un mot l'ennemi sur tous les points à la fois. Elle est partout. En vérité, elle lui a gâté un peu son plaisir... Il faut bien qu'il la laisse aller... Mais une fois à terre elle ne s'en va pas. Elle se plante devant lui, le regarde fixement et dit:

—Est-ce qu'on est lâche, dans les dragons?

C'est avec la gamine qu'il a cru lutter; il la regarde et voit, dans ses yeux, la femme.

Alors, honteux de lui-même et tirant son chapeau:

—Veuillez me pardonner, mademoiselle.

—Volontiers, dit-elle... Je crois bien d'ailleurs que j'ai eu les premiers torts, monsieur. Et c'est bien pour cela que j'ai voulu être franche avec vous.

Étourdiment Émile Louvier demande encore:

—Et quel est mon heureux rival?

Elle éclate de rire, espiègle:

—Monsieur Gottfried! s'écrie-t-elle en s'enfuyant, cette fois, au plus vite... Monsieur Gottfried, que voici!

Gottfried, en effet, cherche M. Louvier. Il l'aborde et lui dit solennellement:

—Vos intentions sont-elles pures, monsieur? j'ai quelque droit de vous le demander.

Il tombe assez mal, puisque Louvier, plus vexé qu'il n'a voulu le paraître, vient tout justement de recevoir un congé en règle.

Le dragon regarde Gottfried et, à l'idée que cet ours mal léché peut avoir la prétention d'épouser la petite fille, il est pris de la double envie de mourir de rage et de mourir de rire.

Il prend ce dernier parti.

—Vous riez, monsieur, et pourquoi? demande Gottfried avec dignité. Ma question n'a rien de risible.

—La question n'est qu'impertinente, dit Louvier de plus en plus agacé, mais le questionneur est grotesque... Tenez, fichez-moi la paix.

—J'ai quelque droit de vous interroger! répète Gottfried qui a étudié sa phrase et préparé la scène.

Le dragon le regarde de travers et prononce placidement ces trois ou quatre mots mystérieux qu'il a rapportés de la caserne:

—Toi, ferme ton phonographe!

—Cet instrument n'a aucun rapport avec ce qui nous occupe, dit Gottfried, qui a juré de ne pas se laisser démonter. Voulez-vous, oui ou non, répondre à mes questions?

—Veux-tu répondre aux miennes? dit Louvier, avec une aimable familiarité.

—Si elles sont convenables, riposte Gottfried sans étonnement, mais avec fierté.

—Avez-vous, oui ou non, caressé l'idée d'épouser la fille de la maison?

—Oui! dit Gottfried avec énergie, je l'ai caressée!

Il n'a pas achevé qu'il reçoit sur le matelas de sa barbe épaisse une maîtresse gifle, mais sans s'émouvoir et non sans esprit, il répond simplement:

—C'est tout ce que je demandais! Cher monsieur, au plaisir de vous revoir.

Et il va se mettre en mesure d'envoyer à Louvier les témoins nécessaires.

Mais comme il s'éloigne, la figure du petit Jacques lui apparaît entre deux branches d'un buisson voisin, et l'enfant, gravement, lui dit:

—Est-ce que ça vous a fait bien mal, monsieur Gottfried?

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