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Diamant noir

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XLIV

A présent qu'elle est sûre de son sentiment, Nora, avec la franchise hardie de son caractère, avec sa violence impérieuse, voudra l'imposer. Elle est ce qu'elle est, comme elle dit quelquefois, et elle le fait bien voir.

Le lendemain matin, au point du jour, on a réveillé Guy pour la chasse. Il s'habille, et il est prêt à partir, quand on frappe à sa porte.

—Entrez, dit-il.

C'est Nora. Il est stupéfait.

Elle entre, repousse la porte, sans la refermer.

—Je viens, dit-elle, vous chercher pour le déjeuner du départ. Le café nous attend en bas. J'irai à la chasse avec vous. Je tire assez bien, vous savez?

Il l'examine. Elle s'est plantée devant la porte presque fermée, et tout en disant: «Venez,» elle le regarde toujours fixement, profondément, sans faire mine de sortir.

—C'est bon, je vous suis, dit-il, feignant de chercher, dans un tiroir, son mouchoir ou ses gants.

Quand il se retourne, gêné, Nora est toujours là, debout, et il retrouve les deux grands yeux noirs, ardemment fixés sur les siens.

Il songe à ce qu'il a vu la veille, aux baisers de Gottfried! aux baisers de Jacques! Il pense qu'il n'y a pas à s'y tromper: il a son tour! Une colère le prend. Est-ce qu'on veut l'entraîner, lui, Guy, à cette perfidie, d'embrasser, dans les coins obscurs d'une maison dont il est l'hôte, la petite fille de son hôte?

—Allez, dit-il d'un air froid. Je vais vous suivre... allez, mon enfant.

Il s'efforce de paraître calme, mais son cœur gronde et sa voix tremble.

Nora ne bouge pas. Ses yeux lancent une si brûlante flamme que Guy est atteint. Un nuage passe sur sa pensée d'homme; sa vue se trouble. A travers une vapeur, il voit la femme, petite, toujours debout, ses yeux toujours dardés, sa lèvre palpitante... Elle sait ce qu'elle veut et que son visage le dira. Elle a appris,—des bêtes, des choses, du frisson des bois et des vagues, des hommes même, de son père,—la puissance et la fatalité d'aimer. Elle a appris,—sous les persécutions,—la révolte, les insistances acharnées. Elle ne craint rien, Nora, rien au monde, ni une mère, ni un père, ni la souffrance, ni la mort. Elle veut aimer. Elle aime. Elle vient. Voilà tout.

«Pourquoi non? songe alors Guy tout à coup, avec violence. Pourquoi non, si elle s'impose, si elle sait, si elle veut, si elle est libre et consciente,—si c'est ainsi?»

Il sent bien que le fatalisme d'amour s'empare de lui et le conseille...

Le satyre qui, selon le mot du poète, s'éveille en tout homme à l'odeur des forêts, s'éveille en celui-ci, devant cette nymphe sauvage, qui vient et qui s'offre, avec entêtement. Guy éprouve, en coup de sang, l'envie sourde et terrible, folle, de se jeter sur elle, de l'emporter où elle veut, toute mignonne comme elle est.

—Allez-vous-en! dit-il irrité.

C'est maintenant sa voix qui gronde et son cœur qui tremble.

Nora fait un pas, comme fascinée, et c'est elle qui le fascine. Il n'est plus lui-même! Il court à elle, attiré, éperdu, la prend à pleins bras, appuie un baiser, un seul, mais furieux, sur sa bouche qu'il écrase, et répète d'une voix creuse, altérée, en la repoussant de lui avec violence:

—Allez-vous-en! Va-t'en!... enfant terrible! Il faut t'en aller! Va-t'en!

Et si dure est la voix, si brutale est la secousse, qu'elle retrouve, dans la joie du baiser farouche, toutes les douleurs qu'elle aime. Aussi brutalement la repoussa, jadis, un autre homme qu'elle aimait, son père,—aussi brutalement la repousse, aujourd'hui, celui-ci qu'elle aime. Le voilà donc, l'élément natal de son âme, douleur, colère, haine d'amour! mais, cette fois, c'est bien à elle que s'adresse tout cela. A elle, encore enfant, déjà femme. Elle est heureuse, et elle est sombre.

Guy est debout, l'air égaré, et tout le cœur de la petite bondit vers lui. Ne lui a-t-elle pas dit un jour, il y a longtemps, longtemps: «Je vous aime, parce que vous êtes bon?» Et n'est-ce pas parce qu'il est bon qu'il la rejette aujourd'hui? oui, oui, c'est pour elle, c'est pour bien faire, elle le comprend de reste. Elle a donc tout en lui, dans cette seconde, tout à la fois: bonté et dureté, tendresse et fureur! Inconsciente des raisons qui la rendent joyeuse, sa petite âme retrouve, comme un oiseau des mers, la tempête qu'elle a coutume de braver, qu'elle aime, qui l'emporte où elle veut, et qui la berce.

Elle l'avait bien deviné, qu'il y avait, dans le cœur d'un homme vrai, quelque chose de semblable aux vents, à la mer, à la force ardente des choses, à l'âme des éléments.

Elle est toujours là, debout. Alors, épouvanté de ce qu'il pense, de ce qu'il voudrait, s'il s'écoutait, Guy s'assied au pied de son lit, d'un air pitoyable; et, d'une voix de prière, où elle sent l'humilité du vaincu:

—Allez-vous-en, je vous en supplie, petite Nora!

Et telle qu'elle était venue, silencieuse, comme rigide en sa volonté que trahit sa démarche, Nora, sans un sourire, regardant devant elle le vide avec son œil dilaté et noir,—s'éloigne, emportant dans son cœur l'orgueil du triomphe, tandis que Guy se prend à sangloter.

Il pleure parce qu'il sent bien qu'il l'aime et qu'il ne faut pas; parce qu'il ne peut ni ne doit l'épouser, et qu'elle est perdue, pense-t-il, deux fois perdue, pour lui et pour elle!

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