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Diamant noir

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XLV

La vie au château suit son cours. François Mitry tous les jours amuse ses invités, parmi lesquels éclate, par sa belle tenue, Émile Louvier, sur qui sont fondées des espérances ignorées de lui. C'est un très bel homme, qui vient de faire trois ans de service militaire, aux dragons, car il a dédaigné de passer des examens quelconques, et de se présenter à aucune école. Il faut lui rendre cette justice qu'il est vraiment beau sans ridicule, sans la moindre afféterie. Il le sait un peu, et il y paraît quelquefois, rarement, seulement quand on provoque sa vanité. Il suit trop les modes au gré de certaines personnes, mais il les fait valoir à merveille. Le nombre de ses épingles de cravate est infini, et il en montre, chaque jour, deux ou trois tour à tour, mais il faut convenir que ce sont des bijoux du meilleur goût. Il chante avec une belle voix. Il monte élégamment à cheval. Il jette bien son coup de fusil et professe en littérature des opinions faisandées—mais c'est affaire de mode et il changera de théories dès que le mot d'ordre sera changé. Au demeurant banal, mais bon garçon et brave, doué en somme des mêmes défauts, des mêmes qualités que les hommes quelconques de son âge. Ajoutez que dans ce spécimen vulgaire de l'humanité de vingt ans, le beau mystère de vivre et de désirer apparaît avec le même attrait que chez tous les êtres jeunes et s'échappe, aussi impérieux, de tous ses regards et de tous ses gestes. Il a vingt-quatre ans.

Nora le regarde tout juste avec la même attention qu'elle prête aux autres invités, y compris les femmes. Aucun ne l'intéresse, ni le gros banquier Legros, trop bien nommé, ni le général Lagrange, ni leurs femmes, ni l'avocat Poireux, ni le colonel de la Balme. Tout ça, pour elle, c'est «des gens». Il y a quatre jeunes filles, deux Lagrange, une Legros et enfin Mlle Lairoy, accompagnée de sa mère, et sœur du jeune Alfred, un adolescent de dix-neuf ans, que, dans sa pensée, François Mitry met en balance avec M. Émile Louvier. A ces gens viennent s'ajouter deux ou trois personnages d'égale importance, et enfin Mitry annonce qu'il ne manque plus à l'appel que deux amis, M. et Mme de Morigny, deux amis qu'il croyait perdus, et qui, après neuf ou dix ans passés dans tous les ports de mer du globe, à la recherche de la fortune enfin rencontrée, viennent de rentrer en France. Morigny lui a écrit voici huit jours à peine. Mitry a répondu «Venez, l'occasion est bonne. Vous trouverez ici joyeuse et belle assemblée.»

M. de Morigny a riposté: «Nous arrivons.» Ils arrivent en effet. Toute la compagnie annoncée est maintenant au complet, et chaque jour ce sont parties nouvelles, tantôt en commun, tantôt par groupes séparés. Mitry a fait des programmes à l'avance. Il en propose un tous les matins. Et Mlle Marthe aidant (elle se multiplie), le personnel étant triplé à l'office et dans les écuries, tout marche à souhait.

Après les repas bruyants, on se disperse, le soir, à travers le parc. Les pins bruissent. La mer leur répond. Tout le monde goûte avec ravissement le charme des belles soirées du Midi.

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