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Diamant noir

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XXIII

Guy avait fort bien deviné. L'Allemande avançait sans trop de peine. Elle était même assez avancée.

De la confiance d'amour, des sentiments nobles, du désir de rester digne de ce qu'on aime, qui sont les fruits de la confiance, François Mitry, volontairement, n'avait rien gardé. Il s'était dit, après avoir appris la trahison de Thérèse: «Puisque c'est ainsi, puisque tout est mensonge et bassesse, vivons au hasard!» Il avait quelque chose du malheureux qui, pour se consoler d'un chagrin domestique, se fait ivrogne. Vivre en paix, chasser, boire, dormir, voir, pour soi-même, quelques amis avec leurs femmes, «oui, se répétait-il en ricanant, avec leurs femmes,»—voyager parfois, courir les hôtels et les pensions de famille dont les corridors, la nuit, en voient de si drôles;—rendre visite à Monaco, si voisin de Cavalaire,—c'était là son plan. Il avait même admis l'idée de faire venir de temps à autre à Cavalaire, si cela lui convenait, les Mimi-Bamboche du jour. Nora, il ne tarderait pas à la mettre en pension. Et Mlle Marthe s'en irait, ou bien, à sa guise, deviendrait définitivement son intendante. Elle avait des idées sur l'ordonnance d'une maison, Mlle Marthe; elle lui serait commode, et si elle se mettait, bien soignée comme elle l'était, à prendre un peu d'embonpoint, seulement un peu, eh bien, mon Dieu! pourquoi n'aurait-elle pas son heure?

Il pensait tout cela rageusement. C'était sa vengeance contre Thérèse. Il s'abandonnait.

Quant à Mlle Marthe, il entrait aussi dans ses projets à elle de prendre quelque embonpoint, et, en quelques mois, elle y avait presque réussi, de sorte qu'un beau matin de printemps, après une nuit bien dormie, à la suite d'une chasse heureuse et excitante,—M. Mitry s'aperçut que la chaste poitrine allemande avait cessé de paraître anglaise.

Il communiqua ses réflexions à Mlle Marthe en personne, qui rougit, baissa les yeux, et s'en fut, comme Galatée, derrière le saule, où il la rattrapa sans peine.

A quelque temps de là elle lui disait: «Je vous aime» dans les trois langues, qui sont: l'allemand, le français, l'anglais,—et il put se griser à son aise de syntaxe, de pédantisme et de vulgarités. Il trouva, pour l'instant, cela plus commode, et s'y tint.

—Elle me trompera avec Antoine peut-être,—ricanait-il parfois, en se promenant solitaire sur la grève ou dans la colline,—mais si elle se fait pincer, vrai, ça sera amusant; je ne serais pas fâché de faire payer à l'une d'elles, fût-ce à une vulgaire institutrice allemande, la fausseté de toutes les autres!

Et il se rappelait avoir beaucoup ri jadis de la sottise romantique d'un étudiant, son camarade, qui, trompé par sa maîtresse, payait des filles pour leur faire souffrir ses insultes vengeresses.

—Il n'avait pas tort, cet idiot! Ça devait lui être un vrai plaisir!

Voilà à quelle ineptie de rage était tombé le beau, le puissant François Mitry d'autrefois. Voilà ce qu'avaient fait de lui quelques chiffons de papier liés d'une ficelle et vainement jetés au feu. Il faut croire aussi que la maladie avait, dans son cerveau, laissé quelque trace indéfinissable, mais agissante et amoindrissante... De loin en loin encore, il se surprenait à répéter, comme on répète un air obsédant, évocateur de tout un passé, ces mots incohérents: «... Les chiens courants, les chiens courants me l'ont prise!» Et, pendant une seconde, l'œil qu'il promenait alors sur les êtres et sur les choses, était celui d'un véritable fou.

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