Diamant noir
VI
Elle avait demandé à être ensevelie dans le cimetière du Lavandou. Elle avait dit: «Là, je ne serai pas trop loin de vous, et même je serai tout près. Je ne veux plus de Paris. C'est ici surtout que j'ai été heureuse.»
Et les choses furent faites comme elle l'avait demandé.
François Mitry était vraiment stoïque. Ce qu'il y a de naturel et de fatal dans la mort, de plus puissant et de plus haut que la volonté humaine, il se sentait de taille à l'accepter, à le porter debout. Cette puissante résignation à ce qui est inévitable, de par la loi des choses, c'était toute sa religion à lui.
Il veilla aux moindres détails. Il déposa lui-même sa morte aimée dans le cercueil, l'y arrangea doucement, fit rouvrir la terrible boîte, qu'on avait commencé de fermer, pour y placer, par un enfantillage pieux, un petit portrait de Nora fixé dans un médaillon,—et il souffrit avec une énergie fière tous les adieux successifs des jours d'enterrement.
Quand une exaltation de douleur montait en lui, trop forte, il courait à Nora, l'enlevait dans ses bras, la regardait bien, cherchait et retrouvait en elle la ressemblance, indécise encore, avec la mère, l'embrassait répétant: «Je reste, moi, je reste!» puis: «Tout pour toi, pour toi, pour toi!»
Et il retournait à ses tristes occupations, raffermi.
Une fois, comme il serrait la pauvre mignonne d'une étreinte mal mesurée, en lui répétant: «Un papa, dis, ma chérie, c'est bon, n'est-ce pas?» elle répondit, avec un petit cri de douleur: «Oh! ça fait mal!» Alors, il se calma: «Je serai bien sage, lui répondit-il, pour toi, pour toi, toujours!» et il lui fit sur les yeux un tout petit baiser, léger, léger,—«comme un baiser de maman, quand elle disait qu'elle n'avait plus la force», expliqua Nora.
Lorsque la morte fut sous la terre, et le tombeau commandé,—François Mitry quitta, avec Nora, Cavalaire pour quelques jours. Puis, il revint en hâte et trouva une douceur étrange à faire de la chambre de sa femme une sorte de sanctuaire du souvenir.
Il y disposa toutes choses comme si elle allait rentrer tout à l'heure. Les objets familiers, les bibelots, furent mis à leur place habituelle. L'antique table à ouvrage, qui venait de la grand'mère de Thérèse, fut ouverte, avec ses soies, ses broderies commencées, près de la causeuse. Sur la petite table, le livre que lisait Thérèse huit jours avant de tomber malade, fut posé avec son signet marquant la page inachevée. Toutes les armoires visitées, le linge et les robes y furent laissés dans un ordre vivant.
Les bijoux seulement, brillant sur les écrins ouverts, furent placés dans une vitrine à côté des bibelots précieux. Et à mesure qu'il les y déposait, il les examinait longtemps un par un, se rappelant à quelle occasion il avait offert celui-ci, par quel caprice d'enfant elle avait exigé celui-là, ce diamant noir, par exemple,—un joyau rare, monté en tête d'épingle, au bout de sa rigide et grêle tige d'or. Oh! celui-là, quels souvenirs premiers il lui rappelait!
... Le soir même de leur mariage, comme il contemplait longuement les yeux si noirs et si limpides de sa Thérèse, lumineux et sombres dans la blancheur veloutée de la peau, il l'avait appelée, elle: «mon diamant noir»...
Il le mit donc, ce joyau, en avant de tous les autres, au bord de l'étagère, scintillant et obscur sur le velours blanc de l'écrin... Et il ne put s'empêcher de se dire que cette pierre précieuse était comme un symbole indestructible de ce qu'il avait perdu en Thérèse. La tendresse de la chère morte, n'avait-elle pas cette solidité, cet éclat limpide, teinté à jamais d'une ombre de deuil, de regret, de mort?
Enfin, sur le lit parfumé, sur les oreillers frangés de dentelle, tout préparés comme si elle allait tout à l'heure y plonger encore sa forme adorée, il déposa un des bouquets qui avaient veillé près d'elle, et il pensa que, chaque matin, il renouvellerait les fleurs dans les vases et dans les coupes de cette chambre sacrée.
Tout cet arrangement fut si méticuleux, si attentif, qu'il lui prit plusieurs jours. Il passait des heures à méditer sur la manière dont il devait disposer ceci ou cela, tourner le dossier de ce fauteuil ou les branches de ce flambeau... Il avait d'abord enlevé le grand christ d'ivoire qui, sur le fond rouge de son vieux cadre, occupait le mur au-dessus du lit, et il l'avait remplacé par un portrait de Thérèse. Puis il pensa que cette chambre devait enfermer uniquement les objets qu'elle y avait connus. Il fit remettre le portrait au salon où il l'avait pris et le christ à la place où elle l'avait toujours vu.
Il s'étonna alors d'avoir pu songer une minute à une autre disposition et passa un jour entier à se plaindre de sa sottise.
De temps en temps il allait chercher Nora, la consultait gravement:
—Est-ce que c'est joli comme ça, mignonne?
—Oh! oui, mais je me rappelle bien: maman avait dit une fois à Catri: Ne posez jamais ça comme ça, Catri!
Alors, le père, heureux du renseignement, restituait aux choses leur vraie disposition, celle qu'aimait Thérèse.
—Mais, papa, puisqu'elle ne doit pas revenir?
—Justement. En voyant les choses en place, Nora, nous pourrons croire qu'elle est par là, comprends-tu?... Nous allons l'attendre.... toujours!
Il ne s'apercevait pas que tout cela était un peu trop fort pour l'âme de l'enfant... Il lui faisait mal—par tendresse.