Diamant noir
LI
Ainsi il y eut—chose horrible—un malheur plus grand pour Mitry que d'apprendre que Thérèse l'avait trahi, ce fut d'apprendre qu'elle ne l'avait pas trahi;—qu'il l'avait à tort accusée! qu'il a sali, gâté, gâché sa vie, à cause d'un mensonge des choses qui lui a fait croire à un mensonge d'âme!
Il se roula longtemps sur le lit de Thérèse, demandant pardon, à elle et à leur enfant.
Mme de Morigny était toujours là, accablée.
—Et moi aussi, dit-elle, je vous ai fait souffrir!
Enfin il se ressaisit un peu.
—Soyez indulgente pour tant de faiblesse, dit-il, mais c'est horrible, plus horrible que vous ne pensez... Si vous saviez!... Nora...
Et sans pouvoir en dire davantage, il se remit à pleurer.
—J'essaierai, maintenant, de réparer de mon mieux! mais, je le sens, c'est impossible!
Il se leva.
—Vous nous permettrez de partir seulement demain matin, cher monsieur Mitry, lui dit Mme de Morigny. Un départ précipité, ce soir même, pourrait éveiller des curiosités...
Il lui tendit la main.
—Merci, dit-il.
Il ajouta:
—C'est fini, me voilà calme... Oh! Thérèse! oh! ma Nora... Je veux la voir, à présent, la voir tout de suite, cette fille de la douleur!—Je suis si coupable envers elle!... J'ai été si dur! Voulez-vous, madame. lui dire de monter ici, dans cette chambre? C'est ici que je dois la revoir pour la première fois après vos révélations qui m'ont rendu, hélas! à moi-même!
Mme de Morigny sortit. Peu d'instants après, Nora frappait à la porte.
—Entrez! gémit le malheureux père.
Elle se présentait devant lui comme à l'ordinaire, avec un visage un peu mauvais, l'œil armé pour ainsi dire de résolutions de combat.
—O ma pauvre enfant! ma pauvre enfant! ma Nora! ma pauvre Nora!
Elle ne comprenait pas, mais elle reconnaissait bien le son de la tendresse dans cette voix en larmes. Hier soir, la voix de Guy avait eu de ces intonations pénétrantes qui s'en vont caresser le fond de l'âme.
A présent qu'elle était là, il ne savait plus que dire, ni que faire.
Il eut envie de se mettre à genoux devant elle, de baiser le bas de sa robe, de baiser ses pieds, de lui crier, à elle-même: Pardon! pardon! comme il le murmurait tout à l'heure à son image évoquée et à l'ombre de Thérèse.
Il n'osa point; il eut peur de son étonnement, de ses questions. Il eut envie de lui dire: «Voici mon affreuse histoire. Voilà pourquoi j'ai été fou, malheureux et méchant. J'ai douté de ta mère!»
Il n'osa point. Il se faisait horreur, maintenant, d'avoir pu douter, sur des apparences que sa raison même, éclairée par son cœur, aurait dû repousser!
—Approche, Nora, dit-il, chère enfant malheureuse! approche, je t'en prie, que je te regarde!
Elle se tenait debout devant lui, surprise, froide. Il la regarda longtemps, longtemps.
—Comme tu lui ressembles! dit-il enfin... Et à moi aussi... un peu.
Un sanglot le prit. Il se jeta, de nouveau, sur le lit, la face contre les coussins, en criant: «Pardon! pardon! pardon, Thérèse! Nora, Nora, pardon!»
Alors, sans rien comprendre, sinon que cet homme si fort, si longtemps dur, méchant pour elle, avait un chagrin infini, Nora, songeant à Guy, Nora qui connaît le bonheur d'aimer, l'heureuse Nora d'aujourd'hui, met sa petite main tranquille sur l'épaule du géant tombé, et, sans beaucoup d'émotion, par pitié seulement, elle dit: «Mon père!»
A ce mot, François Mitry, d'un mouvement emporté se relève et la prend sur son cœur et l'embrasse à l'étouffer...
—Oh! dit-elle, comme elle lui disait déjà lorsqu'elle était toute petite... Oh! vous me faites mal!
—Hélas! dit-il, c'est ma destinée!
Et après un nouveau silence:
—Allons, va, maintenant, Nora, ma fille... je ne vais plus penser qu'à ton bonheur...
Tout de même, elle croit sentir que la destinée, autour d'elle, se fait déjà meilleure, et, en sortant, elle a souri à François Mitry un peu consolé.
—Qu'y a-t-il donc? se demande-t-elle.
Mais après tout, que lui importe cette scène d'attendrissement, de la part d'un homme qui a été, neuf ans, son bourreau? Il revient trop tard. Elle a grandi pour l'autre amour. Il y a aussi un père bien-aimé, dans ce Guy qu'elle adore. Elle ne pense plus qu'à lui.