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Diamant noir

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XXXI

—Il y a là, monsieur, un exprès qui nous annonce que mademoiselle Nora s'est échappée hier du couvent!

C'est une rumeur dans toute la maison. Les domestiques sont consternés et Mlle Marthe elle-même; car, au fond des cœurs mystérieux, l'intérêt, la haine même quelquefois, sont mêlés d'amour et de pitié. Rien n'est pur d'alliage, pas même le mal: il ne va pas sans quelque bien.

François Mitry donne des ordres. On attelle pour porter des dépêches au télégraphe de Cogolin. Mais Jacques Maurin vient d'arriver au château, il demande Mlle Nora; on l'interroge.

—Je l'ai vue hier soir, dit-il.

Alors l'imagination de tout le monde s'inquiète autrement, et quand Jacques explique: «J'ai annoncé à mademoiselle Nora la mort de Jupiter:»

—Mon Dieu! mon Dieu! s'écrie Catri, ses deux mains sur sa tête. Elle en mourra! elle en est morte!

Ce mot éclaire les esprits. La petite est volontaire, violente, sombre. Elle a pu,—oui, avec sa nature!—songer à mourir! On court sur la plage, et François Mitry le premier... Hélas! il reconnaît sur le sable la trace des tout petits pieds; oui, oui, ce sont les pieds mignons de Nora, impossible de s'y tromper. Jacques les reconnaît bien, lui aussi; il pleure: «Oh! monsieur Mitry!» Mitry se sent le cœur déchiré. Est-ce qu'il a tué cette enfant? On s'efforce de lire les traces, mais elles vont et viennent en divers sens; elles s'embrouillent... Nora s'est promenée un moment ici, avant de se décider...

—Monsieur Mitry! monsieur Mitry!

C'est encore Jacques qui appelle. Le petit leveur de pièges est habile à reconnaître dans les bois la trace du lièvre ou le pas de la perdrix rouge...

—Ici, ici, voyez!

Et du doigt il désigne, sur la passerelle de planches où les lesteurs en ce moment même vont et viennent, l'empreinte du petit pied mouillé et terreux... On la retrouve tout contre le bateau, à l'autre extrémité. Et là, plus de doute, sur le bateau Jacques a ramassé un ruban... le ruban qui liait le bout des cheveux tressés de Nora... François Mitry l'arrache aux mains de Jacques, ce ruban, et il le baise; car, si elle était morte, la fille de Thérèse, il l'aimerait, oui, comme autrefois, il l'aimerait encore, maintenant qu'il serait trop tard!

Les lesteurs interrompent leur travail, on fouille l'eau aux environs; on interroge la mer; on met le canot de la tartane à flot; les douaniers accourus proposent leur petite embarcation; il y a aussi celle de Mitry, et toute la plage s'anime de la même inquiétude et retentit du même appel que prolonge l'écho de la colline:

«Nora! Nora! Nora!»

—Hélas! monsieur, vient dire Mlle Marthe, les petits souliers de mademoiselle sont dans le corridor, presque cachés sous le bas d'une portière qui traîne...

François Mitry regarde Marthe d'un regard profond... Sa fille est donc entrée hier soir, dans la maison! Leur porte était bien mal fermée... ils s'en sont aperçus bien tard... Il court chez lui, il entre, il ouvre toutes les chambres... Qui sait?

Puis, un trait de lumière frappe son esprit... La chambre de Thérèse!

Il n'y a plus mis les pieds depuis longtemps, dans cette chambre; il l'a abandonnée. Catri s'y introduit de temps en temps, lui a-t-on dit, pour ôter la poussière et, par une idée de ménagère soigneuse, changer les draps une fois par an, assure Mlle Marthe, le jour anniversaire de la mort de Thérèse. Catri, en faisant cela, a aussi une vague idée superstitieuse: il faut plaire aux morts.

Pour la première fois depuis cinq ans, il va entrer dans cette chambre qui est séparée de la sienne par un spacieux cabinet de toilette, condamné aussi, abandonné. Il se prépare, avec un frisson, à entrer dans cette chambre terrible où elle est morte, où il a tant souffert!...

Et voici que cette chambre est aujourd'hui le lieu de sa suprême espérance... Oh! si Nora n'y était pas! ou si Thérèse allait lui apparaître!.. Il sent, à la racine de ses cheveux, l'horreur qui passe aux heures fatales.

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