Diamant noir
LII
François Mitry a fait appeler aussitôt Mlle Marthe.
—Mademoiselle, lui dit-il, toute ma vie est changée par un événement que je n'ai pas à révéler... J'ai seulement le regret de vous apprendre que vous partez demain... Je sais que vous aviez certaines espérances. Oubliez-les. Vous trouverez dans ce portefeuille un certain dédommagement à la déconvenue que je vous cause. C'est une petite fortune à partager, si cela vous convient, avec monsieur votre frère. La voiture qui vous conduira à la gare sera attelée demain à deux heures.
Mlle Marthe comprend qu'il n'y a pas à résister.
—C'est bien, dit-elle sèchement.
Et, pivotant sur ses talons, elle ajoute:
—Je vais prévenir mon frère.
Gottfried vient d'envoyer à Louvier deux témoins, le général et l'avocat.
Quand ses deux témoins reviennent, Gottfried, à qui sa sœur a parlé, leur tient ce langage:
—Messieurs, je vous prie de m'excuser si je vous ai dérangés pour rien. Je pars demain. La cause de mon départ se trouve être, précisément, ce que je voulais empêcher au moyen d'un duel... Monsieur Mitry marie sa fille à monsieur Louvier. Dès lors, pourquoi me battrais-je? Du moment que je n'empêcherais rien, ce duel n'aurait pas le sens commun.
—Mais, dit le général, je croyais que vous aviez reçu un soufflet?
—Je l'ai reçu, dit Gottfried. Mais je l'avais désiré. Ça n'est pas une affaire. L'affaire, elle, se trouve manquée. Et j'ai là, cachées dans les poils de ma barbe, trois balafres qui prouvent surabondamment que l'épée et le sabre ne me font pas peur. Vous aurez la bonté d'expliquer au dragon ce que je viens de vous dire. C'est un duel inutile. Donc j'y renonce. Mille excuses, messieurs. J'ai mes malles à faire...
L'Allemand était pratique comme un Français fin de siècle, et plus lourdement, mais il n'était pas moins brave. Le général et l'avocat parurent si étonnés, en écoutant le discours de Gottfried, qu'il devina aisément combien tous deux se méprenaient sur les motifs de son changement de résolution.
—Mon Dieu! fit-il, si l'affaire peut se régler en vingt minutes, je n'y vois pas grand inconvénient.
Un quart d'heure plus tard, dans le petit bois au pied de la colline, au fond du parc, Louvier recevait de Gottfried un fort joli coup d'épée au beau milieu du front. Le fer ne pénétra point, mais la blessure resta visible et Gottfried partit content. Il avait bien tort. L'affaire fut connue de Nora, qui voua au jeune Émile une reconnaissance attendrie.
Il faut croire que la nouvelle du départ de Gottfried s'est répandue déjà au dehors, car Jacques Maurin entre chez lui, en coup de vent.
—Je viens vous aider, monsieur Gottfried, pour les malles, vous savez!
—Ça n'est pas de refus, petite brute! dit Gottfried. Tu es heureux que je parte; il est donc sûr que tu les ficelleras bien, mes malles. Ficelle, mon garçon, ficelle... Tu n'auras pas de pourboire.
Mais Jacques, tout joyeux, ne l'entend plus; il siffle bien haut, en ficelant les malles de Gottfried, le vieil air populaire:
qu'il n'abandonne que pour chanter: