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Diamant noir

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XXXIV

Mlle Marthe n'avait pas tardé à se dire que puisque M. Mitry renonçait à envoyer Nora dans un couvent, le mieux était qu'elle prît ces habitudes désordonnées... Elle cessait d'être, dans la maison, le témoin gênant; rien de mieux.

Quant à François Mitry, il fit d'abord quelques objections.

—Nora, dit-il un jour, vous prolongez trop vos promenades! Mademoiselle Marthe, cette enfant n'est pas assez surveillée.

Mitry a des scrupules.... mais Mlle Marthe a bientôt fait de les calmer. Elle le persuade aisément; au fond, voir Nora le moins possible, voilà tout ce qu'il désire. Pourvu qu'il oublie qui elle est, à quel infâme couple elle doit et la naissance et le droit odieux de porter traîtreusement son nom à lui, il ne demande plus rien. Éloigner Nora afin d'oublier,—faire du bruit, jouer, recevoir, courir les lieux dits de plaisir,—toujours afin d'oublier,—voilà qu'elle était sa vie, sa volonté fixe.

Dès qu'il essayait de retrouver le silence, il retrouvait ses visions, Thérèse et Lucien, dont les fantômes hantaient ses cauchemars ou exaspéraient ses insomnies. Seule, Marthe le consolait à chacun de ses retours à Cavalaire; en sorte qu'il avait toujours plus de reconnaissance pour cette excellente fille qui, la nuit, lui prodiguait toute sorte de consolations et de soins, avec des discrétions parfaites; débouchait en silence à son chevet les flacons de chloral ou d'éther, et tournait patiemment les potions calmantes.

Ses rages ne se calmaient donc pas? Non. La jalousie avait dans son cœur les caractères d'une maladie chronique. Et, de temps à autre, il avait encore à souffrir des crises aiguës.

Ainsi, moins d'une année après l'alerte terrible que leur avait donnée Nora, et lorsque, pour éviter de l'exalter encore, il s'attachait à la contrarier le moins possible, il eut pourtant avec elle une scène qui mit entre eux un nouveau grief, inoubliable.

Elle chantait, au piano, dans sa chambre. Mitry, dans la sienne, écrivait des lettres. La belle voix jeune de Nora sortait par les fenêtres ouvertes, planait dans l'air, libre et entrait, avec toute sa pureté, chez le malheureux Mitry. Or, Nora, ce jour-là, de cette voix qui ressemblait singulièrement, depuis quelque temps surtout, à celle de sa mère, chantait l'Anneau d'argent, une des chansons favorites de Thérèse:

Aussi, lorsque viendra l'oubli de toutes choses,
Dans mon cercueil, de blanc satin capitonné,
Lorsque je dormirai très pâle sur des roses,
Je veux qu'il brille encore à mon doigt décharné,
Le cher anneau d'argent que vous m'avez donné.

Mitry avait levé la tête. Il écoutait, le sourcil froncé, le regard sombre. L'air et les paroles de cette chanson l'impressionnaient également. Il croyait voir Thérèse morte et il croyait l'entendre vivante! C'était une impression trop forte pour cet homme que poursuivaient des visions de folie et qui, parfois, en avait conscience, et s'épouvantait alors de lui-même.

Aussi, comme Nora recommençait pour la troisième fois sa chanson, il n'y tint plus, et, se levant exaspéré, il appela:

—Mademoiselle Marthe! mademoiselle Marthe!

Marthe se tenait toujours à portée de sa voix.

En ce moment, elle brodait, assise à l'ombre des platanes, sous les fenêtres de Mitry.

—Je suis là, monsieur!

—Ordonnez à Nora de se taire! cria François brutalement. J'écris. Elle me gêne... D'ailleurs, je n'aime ni sa chanson, ni sa voix, ni son piano, dites-le-lui!

La voix de l'enfant s'était tue, arrêtée en pleine reprise du premier couplet. Nora avait donc entendu?

—Mademoiselle Nora! cria, à son tour, d'en-bas, Mlle Marthe.

Elle n'obtint aucune réponse! Elle dut monter dans la chambre de la jeune fille.

Nora, pâle, les dents serrées, avait traîné son piano au milieu de sa chambre, l'avait ouvert, et, un canif en main, elle en coupait, une à une, toutes les cordes.

—Voilà ma réponse, dit-elle à Marthe stupéfaite. Dites à mon père, je vous prie, qu'il n'entendra plus ni mes chansons, ni ma voix, pas plus que mon piano. Mais dites-lui aussi qu'en échange, puisque la maison m'est rendue insupportable, je veux du moins, au dehors, être de plus en plus libre. On a trouvé mauvais hier encore que je sois rentrée, de ma promenade à cheval, après le coucher du soleil. Je rentrerai, à l'avenir, de mes promenades, quand bon me semblera... On me laissera tout à fait libre... En échange, j'irai chanter dans les bois ou sur la plage...

Mlle Marthe rapporta textuellement, deux secondes plus tard, ces paroles à M. Mitry qui, furieux, répliqua:

—Qu'elle aille au diable!

Nora, qui de sa chambre entendit ces mots, répondit entre ses dents, pour elle-même:

—Soyez tranquille; j'irai!

Et c'est pourquoi, bien souvent, dans les collines ou sur la plage de Cavalaire, on entendait au loin une voix qui ne semblait pas d'une enfant, une voix pleine de charme, de pureté, émouvante surtout dans les notes graves.... C'était Nora, exilée de la maison paternelle, qui chantait sa peine aux arbres, aux rochers, à l'horizon, à la mer...

Chante, mon cœur, la revoilà,
La saison parfumée...
La douleur qui nous exila
N'est-elle pas calmée?..
Chante, mon cœur, le revoici,
L'été, faiseur de roses!
Les fleurs, l'espoir, l'amour aussi,
Toutes les belles choses!
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