Diamant noir
LXXV
Un matin, Guy frappe, comme à l'ordinaire, à la porte qui sépare leurs deux chambres.
Il frappe. Rien ne répond. Il entre. Elle dort. Il s'approche du lit; il est tard; il veut l'éveiller, d'un baiser tendre, furtif, qui effleure... Il s'avance, il va poser les lèvres sur sa bouche... Sa bouche est glacée... Nora! Nora!... L'horrible soupçon le traverse... Nora! Nora est morte!...
Il appelle, il emplit de sa douleur la maison tout entière... Elle est morte, morte!
—Antoine, vite, allez chercher le docteur! Vous, Catri, allez chercher des fleurs, beaucoup de fleurs, Catri!... Oh! Nora, Nora, ma Nora! Elle est morte, morte!
Il faut savoir comment et pourquoi. Pieusement le médecin et l'époux soulèvent le drap, mettent à nu le corps frêle et charmant... Au-dessous du sein pâle, ils aperçoivent un diamant qui brille, la tête de l'épingle d'or qu'elle s'est enfoncée au cœur...
Il a compris! Nora a tenu son serment.
Elle a eu peur d'elle-même, de ses troubles impérieux,—du vertige.
Pour fuir la faute inévitable, elle s'est réfugiée dans la mort, dans la mort qui lui était familière et qui sans doute lui sera bonne. Il l'aurait tuée infidèle; elle s'est tuée avant. Certes, cela vaut mieux!...
Plus heureux que Mitry qui aima sa femme morte tout en la croyant coupable, Guy va aimer Nora, sauvée par la tombe.
Un désespoir terrible, où se mêle étrangement une joie féroce, est entré dans le cœur de Guy. L'ordre de la nature est donc, en sa faveur, bouleversé! Elle part la première, contre toute prévision. Rien de ce qu'il redoutait ne peut plus arriver! Il ne la laissera pas derrière lui; c'est elle, c'est sa jeunesse, qui a quitté le monde. Et lui, il vit; c'est lui qui la contemple, morte. Elle ne sera à personne, jamais. Il ne la verra plus, il est vrai, mais elle aurait pu cesser de l'aimer, l'abandonner, ne plus exister pour lui, et vivre encore, vivre pour un autre! En regard d'un tel malheur, qu'elle a voulu lui épargner, sa mort lui semble secourable, heureuse,—et c'est bien ce qu'elle a voulu. «Elle m'a donc aimé plus que tout! plus que la lumière!... O mort qui me la gardes, sois bénie!...» Jamais les yeux de Guy ne se sont mieux emparés d'elle, ne l'ont enveloppée d'un plus vaste regard, ne l'ont mieux possédée. Elle peut disparaître, fondre comme un nuage, cette forme adorée... Tant que vivra le cœur de Guy, elle sera! et pour lui seul! En vérité, sa joie terrible dépasse, en ce moment, tout son désespoir. C'est demain, demain seulement, qu'il rugira sous l'aiguillon d'une inconsolable douleur.
Ainsi finit la tragique histoire d'une petite créature damnée, qui, ayant conçu l'idéal d'amour trop tard pour pouvoir le réaliser, préféra mourir que de l'offenser.