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Diamant noir

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XLVI

Par un de ces soirs exquis, où chacun à sa guise choisit son compagnon, Guy, lui, recherche un peu de solitude. Il trouve, au fond du parc, une petite porte entr'ouverte qui donne sur la libre colline. Il sort, monte la pente par le sentier bien tracé, éclairé sous la lune.

Il ne s'aperçoit pas qu'une petite ombre l'a suivi... Tout à coup, sur sa main que, par un geste d'habitude, il porte derrière son dos, il sent se poser une main très douce, et qui caresse... Il tressaille; il a compris, mais il ne se retourne pas; il éprouve un plaisir douloureux, qu'il attendait, qu'il redoute, qu'il veut prolonger et qu'il se reproche.

Une voix enfantine parle d'un ton boudeur:

—Vous ne voulez-vous plus me parler, monsieur Guy?

Guy, qui doit être mécontent, se tait.

La voix plaintive, toujours boudeuse, continue:

—Vous ne m'aimez plus, dites? Qu'est-ce que je vous ai donc fait, monsieur Guy?

Il ne répond rien.

—Vous ne me parlez plus jamais. Vous avez l'air de me fuir, toujours... Vous êtes fâché, monsieur Guy? Au moins, on dit ce qu'on a.

Il se ressaisit, et d'un ton qu'il veut rendre naturel, se retournant enfin:

—Je ne suis pas fâché, ma chère enfant, et je ne suis pas assez sot ni assez impoli pour refuser de parler à la charmante petite maîtresse du lieu, mais je ne comprends pas vos questions.

Nora fait une moue de dépit, invisible dans l'ombre. Elle hausse l'épaule, et elle frappe du pied, oh! à peine.

Elle ne veut pas que cela s'entende.

—Eh bien! fait-elle d'un ton dégagé, parlons d'autre chose.

—Je le veux bien... Comment va monsieur Gottfried? répond Guy, d'un ton d'innocence.

—Pourquoi cela? demande Nora, surprise.

—Pour rien... pour parler d'autre chose.

—Bon... Est-ce qu'il vous plaît, monsieur Gottfried? interroge-t-elle.

—Oh! pas du tout!

—Allons, tant mieux!

—Et à vous, mademoiselle?

—La belle question! il me fait horreur.

—Ah? Pourquoi le tolérez-vous donc comme professeur?

—Autant lui qu'un autre... Et puis, je ne l'ai pas choisi; on me l'a imposé.

—On vous impose donc quelque chose, à vous? je vous croyais fière, insoumise, et même indomptable! réplique Guy vivement.

Nora se mord les lèvres... C'est vrai que, si elle voulait, ce vilain Gottfried serait bien loin, depuis longtemps! Elle en convient avec elle-même. Elle se tait, et Guy reprend:

—Il ne vous embrasse jamais, cet homme aimable?

—Voyons! s'écrie Nora, qui joue les indignées, voyons, monsieur Guy, jamais, j'imagine!... Moi! moi et Gottfried! oh! mais songez donc!

Son indignation est sincère, car ses caresses à Gottfried ne le sont pas, et elle n'imagine pas que des caresses de moquerie cela puisse compter....

Alors, Guy poursuit, implacable:

—Et ce petit paysan, gentil ma foi, qui rôde sans cesse autour de vous, mademoiselle Nora, il ne vous embrasse jamais, lui non plus?

—Jamais! dit-elle vivement... jamais, monsieur Guy!

La pauvre enfant veut être aimée. Alors, elle se défend... Aux yeux de Guy, elle sent bien qu'elle serait coupable, s'il savait. Cette idée, qui lui est toute nouvelle, la consterne. En ce moment, elle voudrait pleurer. Elle ne peut pas.

—Eh bien, ma pauvre petite, dit lentement Guy: vous mentez encore!

—Oh! fait Nora, et son pied bat la terre avec rage. Elle égratigne sa main, dans l'ombre. Elle pense que, malgré le beau clair de lune, Guy, par bonheur, ne peut pas la voir très distinctement. Elle ne répond pas un mot. Elle écoute la voix sévère qui poursuit:

—Vous êtes une enfant et vous mentez, Nora. J'ai regardé votre Gottfried. Je lis sur les visages et dans les yeux, moi. C'est un don que j'ai. C'est fâcheux pour vous. Or, Gottfried vous embrasse, et Maurin aussi. Et ils seraient bien sots, tous deux, de ne pas le faire, puisque vous le permettez! mais je ne peux pas, non, je ne peux pas aimer, moi, une petite fille qui ment, et sur de pareilles choses! il faut donc oublier la folie d'une seconde... que vous avez provoquée, mauvais petit démon...

Et, pour ces derniers mots, la voix de Guy s'est attendrie. Il a mis dans le reproche une involontaire caresse...

—Il faut, poursuit-il plus doucement, laisser bien tranquille votre ami, qui vous aime,—je parle de Guy,—sinon vous le forcerez à partir bien vite, et ce serait dommage pour lui, car ce pays est beau, petite Nora... très beau, en vérité.

Guy n'a aucune envie de partir, mais il dit cela parce qu'il le faut.

—Et puisque nous y sommes, ajoute-t-il, je vous engage paternellement, mignonne, à ne pas entrer de si bonne heure dans la chambre des hommes, Nora!.. Où en serions-nous, dites-moi, si j'étais un malhonnête homme, ou seulement un homme faible! je serais, à mes propres yeux, déshonoré, petite fille. Tenez, prenez garde à vous, Nora... gardez-vous du mensonge... et des démarches inconsidérées...

Guy s'attendrit à la voir si petite, la fillette à qui il s'adresse. C'est, en ce moment, comme il vient de le dire, un sentiment paternel qui dicte ses paroles.

—Prenez garde, pauvre petite! prenez garde! répète-t-il d'un ton d'affectueuse prière... Rappelez-vous ce que je vous dis. Il vous arrivera tant de mal, si vous ne prenez pas garde! Il se pourrait bien que personne au monde ne vous parlât plus jamais raisonnablement, comme je le fais, moi, dans votre unique intérêt... C'est pour vous, pour vous, ce que je dis là,—pas pour moi, je vous assure... J'ai beaucoup d'affection pour vous, enfant que vous êtes, oh! mais beaucoup, beaucoup!

Comment se fait-il qu'il sache tout d'elle-même, qu'il devine ou voie tout en elle, ce Guy? Comme il lui a parlé de Gottfried et de Jacques? C'est vrai, qu'il sait tout! C'est comme un juge.

Sombre, la tête basse, muette, une rage au cœur, Nora s'éloigne en cherchant dans sa tête comment elle pourra bien le punir, ce Guy détesté!

... Il y a beaucoup de pitié pour Nora dans le cœur de Guy, mais aucune estime.

Nora le comprend, mais elle n'en est qu'irritée, parce qu'elle a l'habitude de la révolte, de la colère, du commandement et de la vengeance. Ses yeux sont secs et brûlants. Elle a beau vouloir, elle ne sait pas pleurer parce que, dans les commencements de ses grandes peines, elle n'a pas voulu, par fierté; ou bien qui sait? peut-être a-t-elle une de ces natures de feu qui brûlent et sèchent au dedans la source même des larmes.

Nora a trouvé sa vengeance: elle fleurtera avec Émile! avec cet Émile Louvier qui, de l'avis de tout le monde, est si beau, bien plus beau que Guy, pour sûr! Guy? songez donc! Guy pourrait être son père!

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