La jeune Inde
AUX MEMBRES DE LA «LIGUE POUR LE HOME RULE DE L’INDE»
Je m’écarte d’une façon très nette du cours régulier de ma vie, en appartenant à une organisation essentiellement et franchement politique. Mais après avoir sérieusement réfléchi et consulté mes amis, je me suis décidé à faire partie de la Ligue pour le Home Rule de l’Inde, et j’en ai accepté la présidence. Certains amis consultés m’ont dit que je ne devais pas faire partie d’une association politique, parce que je perdais ainsi la position de superbe isolement dont je jouissais à présent. J’avoue que ce conseil m’a fait beaucoup hésiter; mais j’ai eu en même temps l’impression que, si la Ligue m’acceptait tel que j’étais, j’aurais tort de ne pas m’unir à une organisation dont je pourrais me servir pour le progrès des causes dont je m’occupe particulièrement et des méthodes qui doivent obtenir, je le sais par expérience, des résultats plus rapides et plus satisfaisants. Avant de faire partie de la ligue, j’ai essayé de connaître l’opinion de ceux qui se trouvaient en dehors de la Province et avec lesquels je n’avais pas l’occasion d’avoir des rapports aussi intimes qu’avec mes collaborateurs de la Province de Bombay.
Les causes auxquelles j’ai fait allusion plus haut sont le Swadeshi, l’Union Hindoue-Musulmane en insistant sur la question du Califat, l’hindoustani accepté comme lingua franca, et une réorganisation linguistique des provinces. Si je parvenais à entraîner les membres de cette Ligue, je ferais en sorte que la majeure partie du temps et de l’attention de la nation leur fût consacrée.
J’avoue franchement que les réformes ont une place tout à fait secondaire dans mon plan de réorganisation sociale. Je suis persuadé que si les sphères d’activité que j’ai choisies pouvaient absorber l’énergie nationale tout entière, les réformes désirées par les extrémistes les plus ardents viendraient d’elles-mêmes. Quant au Gouvernement indépendant, il est souhaitable que nous l’ayons au plus tôt. Personne plus que moi n’a le désir de hâter notre marche vers ce but. Et c’est justement parce que j’ai l’impression que l’on avancera plus rapidement vers un gouvernement indépendant, en développant les activités dont j’ai parlé, que je les maintiens au premier plan du programme national. Je ne considérerai pas la Ligue pour le Home Rule de l’Inde comme une organisation de parti. Je n’appartiens à aucun parti et ne veux appartenir à aucun. Je sais que, d’après la constitution de la Ligue celle-ci est tenue d’aider le Congrès, mais je ne considère pas plus le Congrès comme une organisation de parti que le Parlement Britannique, bien qu’il renferme tous les partis et que l’un ou l’autre y domine tour à tour. J’ose espérer que tous les partis seront attachés au Congrès, le considérant comme une organisation nationale, qui offre à tous le moyen de s’adresser à la nation, afin de pouvoir donner une forme à sa politique, et je voudrais essayer de façonner la politique de la Ligue de telle sorte que le Congrès conserve son caractère national et indépendant de tout parti.
Ceci m’amène à parler de mes méthodes. Je crois possible de mettre dans la vie politique de ce pays la Vérité et la Sincérité absolues. Je ne m’attendrai pas à ce que la Ligue me suive dans ma Désobéissance Civile; mais je ferai de mon mieux pour que la Vérité et la Non-Violence soient adoptées dans toutes nos activités nationales. Nous cesserons alors d’avoir de la crainte et de la méfiance vis-à-vis des gouvernements et des mesures qu’ils prennent. Je ne tiens pas à développer la question davantage, je préfère laisser au temps le soin de résoudre plusieurs points qui naîtront de ce que je viens d’exposer sommairement...
28 avril 1920.