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La jeune Inde

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LES BRUMES

Chaque fois que je vois mes amis se tromper sur le sens du mouvement je me répète à moi-même ces mots d’un hymne célèbre: «Nous nous connaîtrons mieux lorsque les brumes seront dispersées.» Un de mes amis vient de m’envoyer certains paragraphes sur la Non-Coopération parus dans le Servant of India du 14 courant. Vouloir expliquer les résolutions et raisons est une tâche si vaine! L’année passera vite et nos actions plus que nos paroles démontreront le sens de la Non-Coopération.

Pour moi la Non-Coopération n’est pas suspendue et ne le sera jamais tant que le gouvernement ne se sera pas purgé de la honte de ses crimes contre l’Inde, les Musulmans, et les habitants du Pendjab; et tant qu’il n’aura pas transformé son système pour répondre à la demande de la nation..... Il n’est guère besoin à présent de propagande verbale. L’exemple de ceux qui ont renoncé à leurs titres, à leurs écoles, à leurs tribunaux, à leurs conseils est une propagande plus efficace que le plus éloquent des discours. Les écoles nationales se multiplient... A mesure que les prudents et les timides se rendront compte que le mouvement de Non-Coopération est un effort sérieux et religieux et que les gens s’y intéressent d’une façon permanente, eux aussi feront acte de renoncement.

Je ne serais pas surpris si l’histoire du mouvement dans l’Afrique du Sud se répétait aux Indes. Je serais même étonné s’il en était autrement. Le mouvement de l’Afrique du Sud débuta par un vote à l’unanimité. Dès qu’il fut entrepris, la majorité faiblit, 150 personnes seulement se montrèrent résolues à courir le risque d’être emprisonnées. Il y eut un accord, puis une nouvelle rupture et tout reprit à nouveau. Personne ne croyait, sauf quelques-uns parmi nous, que la réponse à notre appel viendrait à temps. Au commencement de la dernière phase, seize personnes furent emprisonnées. Alors ce fut un véritable assaut. La communauté entière s’élança comme une vague qui s’enfle. Sans organisation, sans propagande, 40000 personnes risquèrent la prison. On sait la suite, et que satisfaction entière fut accordée. Une révolution avait eu lieu sans que le sang fût versé; uniquement par une discipline énergique de souffrance personnelle.

Je me refuse à croire que l’Inde ne soit pas capable d’en faire autant. Rappelons ici les paroles de Lord Canning: «Sous le ciel bleu et serein de l’Inde un nuage gros comme le pouce peut paraître à l’horizon mais nul ne sait quelles proportions gigantesques il ne prendra pas tout à coup, ni quand il éclatera.» J’ignore à quel moment l’Inde agira d’un seul accord, mais je puis dire ceci: les classes cultivées auxquelles le Congrès s’est adressé répondront d’une façon digne de la nation probablement dans le courant de cette année.

Mais, quelle que soit leur attitude, le progrès de la nation ne saurait dépendre d’une seule personne ou d’une seule classe. Les artisans sans éducation, les femmes, les hommes du peuple prennent part au mouvement. L’appel fait aux classes cultivées leur a préparé le chemin. Il fallait séparer les boucs des brebis. Il a fallu mettre à l’épreuve les classes cultivées. C’était à elles à donner l’exemple. La Non-Coopération a, Dieu merci, jusqu’à présent suivi son cours naturel.

La propagande du Swadeshi sous sa forme exclusive et intensive devait venir à son tour. Le Swadeshi faisait et fait partie du programme de Non-Coopération. Il en est à mon avis la partie la plus importante, la plus certaine et la plus sûre. Il était impossible de l’entreprendre plus tôt sous sa forme actuelle. Il fallait que, pour arriver au rouet, la voie fût libre devant le pays. Il fallait que celui-ci fût débarrassé de ses vieilles superstitions et de ses préjugés. Il fallait qu’il comprît l’inutilité de boycotter uniquement les marchandises anglaises et de boycotter toutes les marchandises étrangères. Il fallait qu’on lui eût montré qu’il avait perdu sa liberté en abandonnant le Swadeshi pour les tissus, et qu’il pouvait la reconquérir en se remettant à porter des vêtements dont l’étoffe était filée et tissée à la main,.. Il fallait qu’il se rendît compte que son épuisement ne provenait pas tant de l’armée qui la saigne que de la perte de cette industrie supplémentaire qui enlevait à l’Inde sa vitalité, et faisait de la famine un état chronique dans l’existence de l’Inde. Il fallait que dans chaque province se montrassent des hommes qui croyaient au rouet. Le peuple, alors ne pouvait faire autrement que d’apprécier la beauté et l’utilité du Khaddar.

Tout ceci est maintenant un fait accompli[80]. Les dix millions d’hommes et de femmes et les dix millions de roupies sont indispensables pour faire revivre le Dharma[81] national.

Le problème ne consiste pas à trouver quelques charkas mais à les placer dans chacune des 10 millions de familles. Il consiste à fabriquer et à distribuer tout le tissu dont l’Inde a besoin. Ce n’est pas dix millions de roupies qui peuvent le faire. Mais si, avant le 30 juin, l’Inde est capable de trouver les 10 millions de roupies et les 10 millions d’hommes et de femmes et de distribuer dans autant de familles 2 millions de charkas marchant bien, elle est presque capable d’obtenir le Swaraj, car l’effort accompli par le pays tout entier aura développé ces qualités qui rendent une nation bonne, grande, puissante et indépendante. Lorsque par un effort volontaire l’Inde sera parvenue à boycotter complètement le tissu étranger, elle sera prête pour le Swaraj. Je puis alors promettre que tous les forts des villes de l’Inde auront cessé d’être une insolente menace à sa liberté et deviendront des jardins où ses enfants joueront. Alors les rapports entre les Anglais et nous seront purifiés...

Les Anglais, s’ils le désirent, resteront aux Indes en amis et en égaux, avec le seul et unique but d’aider et de servir vraiment l’Inde. L’intention du mouvement de non-coopération est d’inviter les Anglais à coopérer avec nous à des conditions honorables ou à se retirer de notre pays. C’est un mouvement qui veut placer sur une base pure nos relations réciproques et les définir de façon à satisfaire notre respect de nous-mêmes et notre dignité. Donnez à ce mouvement le nom qu’il vous plaira; appelez-le Swadeshi et tempérance. Supposez, si vous voulez, que tous les mois passés ont été une perte d’énergie. Je propose au gouvernement et aux amis du parti modéré de coopérer avec la nation pour rendre le filage général et déclarer que l’alcoolisme est un crime. Aucun parti n’a besoin de se demander quel sera le résultat de ces deux mouvements. On jugera de l’arbre à ses fruits.

20 avril 1921

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