La jeune Inde
QUE LES HINDOUS PRENNENT GARDE
Bihar est la terre promise de la Non-Coopération; l’Union Hindoue Musulmane de Bihar est proverbiale. Je suis donc très malheureux d’apprendre qu’elle est soumise à une rude épreuve et ne pourra peut-être la supporter plus longtemps. Tous les chefs responsables, Hindous et Musulmans, qui ne sont pas portés à s’affoler, m’ont déclaré qu’il leur fallait un effort presque surhumain pour empêcher des troubles hindous-musulmans de se produire. Ils m’ont informé que certains Hindous avaient dit au peuple que j’avais défendu la viande à tous les Hindous et à tous les Musulmans; et parfois même la viande et le poisson étaient enlevés de force par des végétariens trop zélés. Je sais qu’on se sert souvent de mon nom illégalement, mais c’est bien la plus nouvelle façon de s’en servir mal à propos. On sait en général que je suis un végétarien convaincu et que je veux réformer l’alimentation. Mais on ne sait pas aussi généralement qu’Ahimsa s’étend aux êtres humains comme aux animaux inférieurs et que je fréquente couramment ceux qui mangent de la viande.
Je ne tuerais pas un être humain pour protéger une vache, mais je ne tuerais pas une vache pour protéger une existence humaine si précieuse qu’elle fût. Inutile de dire que je n’ai donné à personne l’autorisation de prêcher le végétarianisme comme faisant partie de la Non-Coopération. Je suis persuadé que nous n’atteindrons jamais notre but si une propagande quelconque s’accompagne de violence. Les Hindous ne doivent pas obliger les Musulmans à ne pas manger de viande ni même de bœuf. Les Hindous végétariens n’ont pas le droit de forcer les autres Hindous à s’abstenir de viande, de volaille et de poisson. Je n’essayerais pas de rendre l’Inde sobre à la pointe de l’épée. Rien ne porte atteinte au moral de la nation comme la violence. La peur est arrivée à faire partie du caractère national. Les Non-Coopérateurs feront une grande faute s’ils cherchent à convertir les gens par la violence; et s’ils emploient dans leur propagande la moindre coercition, ils feront le jeu du Gouvernement[85].
La question de la vache est une question importante, la plus sérieuse qui soit pour les Hindous. Personne n’a plus que moi le respect de la vache. Les Hindous manquent à leur devoir s’ils ne sont pas capables de la protéger. Ils ont deux moyens de le faire: la force physique ou la force d’âme. Vouloir protéger la vache par la violence, c’est abaisser l’hindouisme et le rendre satanique, c’est avilir la noble signification de la protection de la vache. Ainsi que me l’écrivait un ami musulman, «Si les Hindous ont recours à la contrainte, manger du bœuf qui est seulement autorisé dans l’Islam deviendra une obligation.» Les Hindous ne peuvent protéger la vache qu’en se montrant toujours plus capables de souffrir et de mourir. Le seul moyen qu’ils possèdent de sauver la vache du couteau du boucher c’est de s’efforcer de sauver l’Islam du péril qui le menace et de s’en rapporter à leurs compatriotes musulmans pour y répondre noblement, en protégeant de bon gré la vache par respect pour leurs compatriotes hindous. Il faut que les Hindous s’abstiennent scrupuleusement de toute violence à l’égard des Musulmans. Souffrir et avoir confiance sont les attributs de la force de l’âme. J’ai entendu dire qu’à des foires importantes, les Musulmans se voient enlever brutalement leurs vaches et même leurs chèvres. Ceux qui se vantent d’être des Hindous et qui ont ainsi recours à la violence sont les ennemis de la vache et de l’Hindouisme. Le meilleur, l’unique moyen de sauver la vache, c’est de sauver le Califat. J’espère par conséquent que chaque Non-Coopérateur fera tous ses efforts pour empêcher la moindre tendance à la violence, sous n’importe quelle forme, que ce soit pour protéger la vache ou un autre animal, ou pour tout autre but.
18 Mai 1921