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La jeune Inde

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LE SATYAGRAHA. LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE. LA RÉSISTANCE PASSIVE.

La tâche m’incombe souvent de répondre à des questions embarrassantes sur toutes sortes de sujets surgissant du grand mouvement de Non-Coopération. Un groupe d’étudiants non coopérateurs m’a prié de définir les termes que j’ai mis en tête de ces notes. Il arrive que même à cette heure tardive on me demande encore sérieusement si parfois le Satyagraha n’approuve pas la résistance par la force: dans le cas par exemple où la vertu d’une sœur se trouverait à la merci d’un homme affolé par sa passion. Je me suis permis de suggérer que la meilleure forme de défense serait de venir sans irritation se placer entre la victime et son agresseur et d’affronter la mort. J’ai ajouté que cette méthode nouvelle (pour l’assaillant,) éteindrait probablement le désir chez celui-ci de telle sorte qu’il ne chercherait plus à enlever une femme innocente mais dans sa honte aurait hâte de disparaître à sa vue, et que s’il en était autrement, l’acte de bravoure accompli par le frère cuirasserait le cœur de la jeune femme et lui communiquerait une bravoure égale pour résister à la convoitise de l’homme transformé momentanément en brute. Je croyais avoir fourni l’argument décisif en ajoutant que, s’il arrivait que la force physique l’emportât, la honte n’en retomberait pas sur la femme mais sur l’homme et que son frère et elle étant morts pour défendre sa vertu tous deux seraient en bonne posture devant le Tribunal Suprême. Je ne garantis point que mon argument ait convaincu celui qui m’avait posé la question, ni qu’il convaincra le lecteur. Le monde, je le sais bien, n’en continuera pas moins d’exister comme auparavant. Mais il est bien, en ce moment d’examen de conscience et de purification, de comprendre les conséquences du puissant mouvement de Non-Violence. Toutes les religions ont insisté sur l’idéal le plus haut, mais toutes ont fait des concessions aux faiblesses humaines.

Je vais maintenant résumer les explications que j’ai données des différents termes. Je suis incapable de donner des définitions à la fois exactes et concises.

Satyagraha veut dire littéralement: «se retenir» à la vérité et par conséquent signifie Force de Vérité. La Vérité c’est l’âme, l’esprit, donc c’est la force de l’âme. Elle exclut tout emploi de violence parce que l’homme ne saurait connaître la vérité absolue et par conséquent n’a pas qualité pour punir. Le mot fut créé par moi dans l’Afrique du Sud pour distinguer la Résistance Non-Violente des Indiens de l’Afrique du Sud de la résistance passive des Suffragettes et autres à la même époque. Elle n’est point conçue pour être l’arme des faibles.

La Résistance Passive dans le sens orthodoxe, comprend aussi bien le mouvement pour le Suffrage des femmes que la résistance des Non-Conformistes. Tout en évitant la violence, qui est impossible aux faibles, elle ne l’exclut pas si, de l’avis de celui qui fait acte de Résistance Passive, la circonstance le demande. Néanmoins la Résistance Passive est toujours distinguée de la résistance armée, et à une certaine époque seuls les martyrs chrétiens l’appliquaient.

La Désobéissance Civile est une infraction civile à des décrets sans morale que la loi a établis. Cette expression, si je ne me trompe, fut créée par Thoreau pour représenter sa propre résistance aux lois d’un état esclavagiste. Il a laissé un traité parfait sur le devoir de Désobéissance Civile. Mais Thoreau n’était peut-être pas un champion absolu de la Non-Violence. Il est probable également que l’infraction de Thoreau aux lois établies se limitait à celles qui se rapportaient aux finances c’est à dire au payement des impôts; alors que l’expression Désobéissance Civile ainsi qu’elle fut appliquée en 1919 signifiait infraction à toute loi établie et immorale. De la part de celui qui résistait, elle signifiait qu’il se mettait hors la loi d’une façon civile, c’est à dire non-violente. Ayant appelé les sanctions de la loi il subissait gaîment l’emprisonnement. C’est une des branches du Satyagraha.

La Non-Coopération signifie avant tout le refus de coopérer avec l’Etat qui, dans l’opinion du Non-Coopérateur, est devenu corrompu. Elle exclut la Désobéissance Civile du genre de celle qui est décrite plus haut. Par sa nature même, la Non-Coopération est à la portée d’enfants intelligents et peut sans danger être appliquée par les masses. La Désobéissance Civile suppose une habitude d’obéissance volontaire aux lois, sans crainte de leurs sanctions. Elle ne peut donc être mise en pratique qu’en dernier ressort et par quelques uns, au début tout au moins. La Non-Coopération et la désobéissance civile font, l’une et l’autre, partie du Satyagraha qui comprend toutes les formes de résistance non-violente employées pour la défense de la Liberté.

21 mars 1921.

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