La jeune Inde
POUR LE CALIFAT
Discours prononcé en Urdu par Gandhi, à la session commune de la Conférence qu’il présidait, de toute l’Inde pour le Califat[52].
«Il ne devrait point paraître étrange de voir réunis sur la même estrade des Hindous et des Mahométans pour discuter une question concernant uniquement ces derniers. Un témoignage d’amitié est une aide véritable dans l’adversité; et que nous soyons Hindous, Parsis, Chrétiens ou Juifs, si nous voulons former une seule nation, les intérêts de l’un doivent être les intérêts de tous. La seule chose à considérer, c’est l’équité d’une cause. Le Premier Ministre anglais et toute sa phalange d’anciens hauts fonctionnaires peuvent témoigner de la justice de la cause musulmane. Nous parlons de l’Union Hindoue-Musulmane. Cette expression n’aurait aucun sens si les Hindous se tenaient à l’écart des Mahométans, lorsque l’intérêt vital de ces derniers est en jeu. Certains ont suggéré que nous autres Hindous ne pouvions aider nos compatriotes mahométans qu’à de certaines conditions. Une aide conditionnelle est comme du ciment adultéré qui ne tient pas. La seule question qui se pose est de savoir comment il nous est possible d’aider. La conférence pour le Califat a décidé de ne pas prendre part aux cérémonies qui auront lieu prochainement pour célébrer la paix. Je trouve cette décision fort juste: célébrer la paix ne peut avoir aucun sens pour l’Inde, tant qu’une partie vitale de cette paix, affectant le quart de la population indienne, reste en suspens. Quatre-vingt millions de Mahométans s’intéressent aux clauses de la paix qui concerne le Califat. Il est malséant de leur demander de célébrer la paix, alors que cette question est encore dans la balance. Compter que l’Inde le fasse dans ces conditions serait s’attendre avoir la France célébrer la paix, pendant que le sort de l’Alsace-Lorraine est incertain. Que la Turquie ne fasse point partie de l’Inde ne change en rien la question. L’Angleterre est une puissance Mahométane et Hindoue aussi bien qu’une puissance Chrétienne, et si l’Inde fait partie de l’Empire comme associée, le sentiment Musulman demande à être apaisé autant que les autres. Il semblerait donc que l’action la plus correcte de la part de Son Excellence le Vice-roi serait de remettre les cérémonies en l’honneur de la paix jusqu’à ce que la question du Califat fût résolue d’une façon satisfaisante.
L’honneur de l’Angleterre est en jeu.—Cette question affecte en effet l’honneur de l’Angleterre,—la parole donnée par le Premier Ministre. Que sont les richesses, le pouvoir et la gloire militaire, si cet honneur est souillé? Aussi ai-je été peiné de lire le résumé télégraphique du discours du Premier Ministre; il paraissait blesser gratuitement la susceptibilité musulmane et laisser entrevoir une solution de la question du Califat absolument opposée à la parole solennelle qu’il avait donnée après délibération, à une époque où cette parole avait raffermi la fidélité des Musulmans et sans nul doute stimulé l’enrôlement des plus guerriers parmi eux. Je veux espérer encore que des conseils plus sages l’emporteront et que justice sera rendue à la cause Mahométane. Si toutefois le pire devait arriver, le Comité pour le Califat à décidé hier soir de conseiller aux Mahométans de retirer leur coopération au Gouvernement. J’eus l’avantage d’être présent au Comité et aux réunions générales, et je me permets d’avertir le Gouvernement de la solennité de la circonstance et de la gravité de la décision prise. Je sais que retirer sa coopération au gouvernement est une chose très grave. Elle demande que l’on soit capable de supporter la souffrance. Je sais également que tout citoyen a le droit de retirer sa coopération à l’Etat, lorsque par cette coopération il s’avilit. C’est une manière tangible de témoigner son mécontentement.
Le boycottage.—On peut donc espérer que le Gouvernement impérial reconnaîtra la gravité de la situation. Mais de la Non-Coopération passer au boycottage, c’est descendre du sublime au ridicule. Le Comité décida hier, à une forte majorité, le boycottage des marchandises anglaises si la question du Califat n’était pas réglée d’une façon satisfaisante. Le boycottage est une forme de vengeance, et pour arriver à une solution équitable, il nous faut préparer l’opinion du monde. Je me permets de suggérer à mes amis Mahométans qu’ils n’auront pas l’opinion du monde pour eux, s’ils boycottent les marchandises anglaises pour en accepter d’autres. De plus, le boycottage que l’on propose est un aveu de faiblesse; et pour pouvoir traiter toutes les questions, il nous faut montrer notre force et non notre faiblesse. J’espère donc que le Comité pour le Califat, après avoir sérieusement réfléchi, reviendra sur sa décision et annulera sa résolution de boycottage. Pour traiter cette importante question, il faut avoir du calme, de la patience et ne pas s’écarter des faits. Il ne suffit pas qu’il n’y ait point de violence. En vérité, un discours violent peut faire autant de mal qu’un acte violent, et je suis persuadé que vous ne voudriez pas qu’une parole ou une action trop vive fît du tort à une cause aussi sacrée.
Les Griefs du Pendjab.—Il me reste à examiner une attitude que m’ont suggérée quelques amis. On a prétendu que les Griefs du Pendjab étaient aussi une raison sérieuse pour ne point participer aux cérémonies en honneur de la paix. Je me permets de différer d’opinion. Quelque pénible que soit le mal fait au Pendjab c’est en somme une affaire privée, et parler des griefs du Pendjab pour justifier notre refus de collaborer aux célébrations Impériales montrerait que nous manquons du sens des proportions. Les griefs du Pendjab ne proviennent pas, comme la question du Califat, des clauses de la paix. Si nous voulons donner à la question du Califat sa véritable place et lui conserver toute son importance, il faut que nous l’isolions. A mon humble avis, nous ne pouvons nous dispenser de prendre part aux cérémonies que pour des raisons qui proviennent directement de la paix et touchent aux parties vitales de notre existence nationale. La question du Califat répond seule à ces deux conditions.
3 Décembre 1919