La jeune Inde
LA LOI DES MAJORITÉS
Mrs Besant a lu le compte-rendu du discours que j’ai fait à la Réunion organisée au Pendjab par les Ligues pour le Home Rule de l’Inde et l’Union Internationale de Bombay; et, voyant que j’ai réclamé des poursuites contre le Général Dyer et la mise en accusation de Sir Michael O’Dwyer, elle demande comment j’ai pu proposer une motion dont je n’avais pas approuvé les termes. M. Shastriar s’est également montré inquiet de cet acte. Je n’ai eu sous les yeux aucun résumé de mon discours et ne puis dire par conséquent s’il a été convenablement reproduit. Comme j’ai parlé en gujerati, il est possible que la traduction donnée soit infidèle. Je vais essayer d’expliquer moi-même ma position. Je le fais volontiers, car j’estime que le principe soulevé par ces deux grands chefs est fort important.
On m’a souvent accusé d’avoir un caractère inflexible. On m’a dit que je ne voulais pas m’incliner devant la décision de la majorité. On m’a accusé d’être un autocrate... Je me flatte au contraire d’être de nature souple pour tout ce qui n’est pas d’importance vitale. J’ai horreur de l’autocratie. J’attache beaucoup trop de valeur à ma propre liberté et à ma propre indépendance pour ne pas les chérir chez autrui. Je ne désire pas qu’un seul être me suive, si je n’ai pas fait appel à sa raison. Je suis si peu conventionnel que j’irais jusqu’à renier la divinité des plus antiques Shastras, s’ils ne pouvaient convaincre ma raison. Mais l’expérience m’a démontré que, pour vivre dans la société et pour conserver mon indépendance, il me faut limiter l’indépendance absolue aux questions qui sont de la plus haute importance. Dans toutes les autres qui n’obligent pas à sacrifier sa religion ou son code moral, il faut s’incliner devant la majorité. Dans le cas présent, j’ai trouvé la possibilité d’expliquer mon attitude. Le pays a eu de nombreux exemples de ma nature inflexible. Elle était heureuse d’avoir une occasion de pouvoir céder sans danger. Je n’ai pas cessé de croire que le pays a tort de réclamer la poursuite du Général Dyer et la mise en accusation de Sir Michael. Mais ceci est l’affaire des Anglais. Mon but est de m’assurer que ceux qui ont fait le mal quittent le service du Gouvernement. Rien de ce que j’ai vu depuis n’a fait changer mon opinion à ce sujet. Et c’est ce que j’ai dit clairement, à la réunion même, où j’ai proposé la motion. Je l’ai proposée, parce qu’il n’y a rien d’immoral à demander des poursuites contre le Général Dyer. Le pays a le droit de le faire. Le Sous-Comité du Congrès avait déclaré que l’abandon de ce droit serait assurément utile au bien de l’Inde. Je croyais par conséquent ma position tout à fait claire, à savoir: que j’étais toujours opposé à l’idée de poursuite, mais que néanmoins je n’avais aucune objection à proposer la motion, puisque celle-ci ne pouvait par elle-même faire aucun mal.
J’admets cependant que c’était une expérience dangereuse que de prendre cette résolution, pendant la crise que nous traversons. Tandis que nous élaborons de nouvelles règles de conduite pour le public et que nous essayons d’instruire, d’influencer et de guider les masses, il est dangereux de rien faire qui puisse les déconcerter ou nous donner l’apparence de «nous humilier devant la multitude». Je crois qu’à l’heure présente, il vaut mieux être qualifié d’obstiné et d’autocrate que d’avoir seulement l’air d’être influencé par la multitude, et de désirer son approbation. Ceux qui prétendent diriger les masses doivent résolument se refuser à se laisser mener par elles, si l’on veut éviter le règne de la populace déchaînée et si l’on désire pour le pays un progrès bien ordonné. Je crois que non seulement il est insuffisant de protester simplement de ses opinions et de se soumettre à l’opinion générale, mais qu’il est nécessaire dans les questions d’importance vitale que les chefs agissent en sens inverse de l’opinion de la masse, si cette opinion ne se recommande pas à leur raison.
14 juillet 1920.