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La jeune Inde

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SI JE SUIS ARRÊTÉ

Article paru dans le Navjivan.

Je ne cesse de me demander quelle serait l’attitude du peuple si l’on m’arrêtait. Mes collaborateurs m’ont également posé la question. Quelle serait la position de l’Inde si le peuple affolé par son amour faisait fausse route? Quelle serait ma position à moi?

Des ruisseaux de sang répandus par le gouvernement ne sont pas pour m’effrayer mais je serais profondément affecté si le peuple, par amour de moi ou en mon nom allait seulement jusqu’à insulter le gouvernement. Il me couvrirait de honte s’il perdait son empire sur soi lors de mon arrestation. La nation n’arrivera à aucun progrès si elle ne compte que sur moi. Le progrès n’est possible que si le peuple comprend et suit le chemin que je lui ai tracé. Je désire pour cette raison qu’il conserve un sang-froid absolu et considère le jour où je serais arrêté comme un jour de réjouissance. Je désire que même nos faiblesses actuelles disparaissent ce jour là.

Quel serait le mobile du Gouvernement en m’arrêtant? Le Gouvernement n’est pas mon ennemi; je n’ai pas un atome d’inimitié contre lui. Mais il croit que je suis l’âme de l’agitation et que, si l’on m’éloignait, les administrateurs et les administrés auraient la paix, que le peuple m’obéit aveuglément. Le gouvernement n’est pas seul à le croire; certains de nos chefs partagent son opinion. Comment le gouvernement peut-il s’assurer des sentiments du peuple? Comment peut-il se rendre compte si le peuple comprend mes conseils ou s’il est simplement ébloui par mes paroles? Il n’a qu’un moyen de s’en assurer: m’arrêter. Il reste bien entendu l’alternative de supprimer les causes qui m’ont amené à offrir ces conseils. Mais, enivré par son pouvoir, le Gouvernement ne voit pas ses propres erreurs et les verrait-il qu’il ne les admettrait pas. Il n’a donc qu’un seul moyen: se rendre compte de la force du peuple en m’arrêtant. Si par cet acte le peuple est terrifié au point de se soumettre, il aura mérité les injustices dont ont souffert le Califat et le Pendjab.

Si d’autre part le peuple a recours à la violence il fera simplement le jeu du gouvernement, les aéroplanes jetteront alors des bombes sur la population, ses Dyers tireront sur lui et ses Smiths soulèveront les voiles de nos femmes. D’autres officiers seront là qui l’obligeront à se frotter le visage contre terre et à ramper sur le ventre, et le châtieront à coups de fouet. Chacun de ces résultats est également mauvais et ne nous donnera pas le «Swaraj». Dans d’autres pays les gouvernements ont été renversés par la force brutale seule, mais j’ai souvent démontré que l’Inde ne saurait obtenir son Home Rule en employant cette force. Quelle devrait donc être l’attitude du peuple si l’on m’arrêtait? La réponse est simple. Il faut que le peuple,

1o Reste calme et paisible.

2o Mais qu’il n’observe pas de «hartal».

3o Qu’il ne tienne pas de meetings.

4o Qu’il ait l’œil ouvert.

Je m’attendrais, bien entendu, à voir:

5o Toutes les écoles du gouvernement se vider et se fermer.

6o Les magistrats suspendre leurs fonctions en plus grand nombre.

7o Tous les litiges jugés par arbitrage privé.

8o Des écoles et collèges universitaires nationaux s’ouvrir très nombreux.

9o Des milliers d’hommes et de femmes renoncer à tout tissu étranger et porter uniquement des vêtements tissés et filés à la main, et le tissu étranger actuellement en magasin vendu ou brûlé par eux.

10o Tous refuser de s’engager dans l’armée ou de servir le Gouvernement.

11o Ceux qui peuvent gagner leur vie autrement abandonner les emplois du gouvernement et même l’armée.

12o Chacun souscrire au fonds national autant qu’il est nécessaire.

13o Les possesseurs de titres y renoncer en plus grand nombre.

14o Les électeurs, encore incertains, considérer que c’est un péché d’envoyer des représentants aux Conseils.

15o Les candidats aux élections retirer leur candidature et ceux qui auraient été élus démissionner.

Si le peuple prend ces résolutions et les met en pratique il aura certainement le Swaraj avant un an. Nous l’aurons atteint, quand il se montrera capable de cette force. La nation signera alors ma mise en liberté et j’en serai heureux. La liberté dont je jouis à présent est pour moi une prison. Si le peuple employait la violence pour me délivrer et s’il attendait ensuite mon aide pour obtenir le Swaraj son incompétence serait démontrée. Ni moi, ni personne ne pouvons donner le Swaraj à la nation. Elle l’aura dès qu’elle aura prouvé qu’elle est prête.

Je dirai pour terminer qu’il est parfaitement inutile d’incriminer le gouvernement. Nous avons le gouvernement que nous méritons. Lorsque nous serons meilleurs, le gouvernement le sera également. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous aurons notre Swaraj. La Non-Coopération montre que la nation a pris la résolution de devenir meilleure. Va-t-elle abandonner sa résolution si l’on m’arrête et coopérer avec le gouvernement? Si le peuple devient fou, s’il adopte la violence et qu’il en soit amené à ramper sur le ventre, à frotter son visage sur le sol, à saluer l’Union Jack et à faire pour cela quarante kilomètres à pied, qu’est-ce sinon coopérer? Mieux vaut mourir que de s’abaisser ainsi. En un mot de quelque façon que vous considériez la question vous verrez que la seule ligne de conduite pour le peuple est celle que j’ai indiquée.

10 novembre 1920.

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