← Retour

La jeune Inde

16px
100%

LE COMITÉ DE NON-COOPÉRATION

Il semble exister nombre de malentendus et d’idées fausses au sujet du Comité de Non-Coopération, nommé par le Comité pour le Califat, le 3 courant, à Allahabad. Un ami qui se trouvait à la réunion nous écrit pour nous dire que le Comité fut formé dans l’intention de mettre en vigueur la Non-Coopération et pour agir en toute circonstance s’y rapportant, comme s’il représentait la population musulmane de l’Inde entière, même au cas de remontrances présentées aux autorités. Que ceci dépasse les attributions du Comité, c’est ce que cet article va démontrer.

Ainsi que je l’indiquai, en proposant la formation du Comité, celui-ci doit s’assurer des désirs de la nation au sujet de la Non-Coopération et les faire exécuter. Il est un corps représentatif et possédant pleins pouvoirs; mais il n’est pas exact de dire—ce n’est pas son objet d’ailleurs—qu’il représente tout ce qu’il y a de meilleur dans l’opinion musulmane ou ce qui compte le plus. Par exemple, il ne représente pas la noblesse titrée de l’Islam. Cela ne concerne point le Comité. On l’a restreint exprès à un nombre de membres pouvant se consacrer entièrement à la tâche d’organiser la Non-Coopération et de s’assurer l’obéissance aux ordres donnés, la discipline et la Non-Violence. C’est un Comité de travailleurs pour la cause. On ne peut s’attendre à ce que toute l’Inde musulmane soit également éclairée sur la Non-Coopération. Certains doutent de son efficacité, d’autres la considèrent comme un remède à l’eau de rose, un certain nombre la trouvent trop énergique pour l’Inde dans son état actuel. Ils déclarent que l’Inde n’a pas encore atteint la force de sacrifice nécessaire pour réussir. Les membres du Comité ne représentent pas et ne renferment pas ces éléments de doute, bien que par ailleurs ces derniers puissent avoir plus d’influence que certains musulmans faisant partie du Comité. Celui-ci est uniquement composé de membres ayant une foi profonde dans la Non-Coopération, et qui tout en étant convaincus n’exigeront pas de la nation des sacrifices supérieurs à ses forces; ils essayeront seulement de la mener, avec son programme, jusqu’où elle est capable d’aller; mais tout en agissant ainsi, ils n’hésiteront pas à aller eux-mêmes hardiment de l’avant et à entraîner ceux qui sont disposés à les suivre. Ce Comité, qui débute par conséquent sans réputation aucune, doit s’en faire une par son travail et par les résultats obtenus. Il ne saurait durer s’il ne fait rien ou si ayant travaillé, il n’aboutit à rien.

Il n’a aux yeux des étrangers aucune qualité représentative. Pour ceux-ci, Shaukat Ali est un homme aimable, mais un fanatique enragé, n’ayant d’empire sur personne; Hasrat Mohani, un homme inutile qui ne pense qu’au Swadeshi; le Dr Kitchlew, un homme d’hier qui ne possède aucune expérience du monde extérieur au-delà d’Amritsar. On peut en dire autant de la plupart des autres. Je suis assurément un individu supérieur, mais après tout un toqué, et un intrus par-dessus le marché. Une pétition signée du Comité n’aura guère de poids auprès du monde extérieur, si elle doit dépendre de l’influence des signataires. Cela ne veut pas dire que le Comité n’en présentera aucune. Il en présentera certainement, lorsque la rapidité d’action sera essentielle ou lorsque pour certaines raisons de convenances, d’autres ne seront pas disposés à signer. A dire vrai, recueillir des signatures pour d’importantes pétitions sera un des moyens de sonder l’opinion publique; et on s’assurera ainsi de l’esprit de sacrifice dans l’élite du pays. Pour les masses et pour l’action intérieure, le Comité a une grande valeur représentative. Il serait probablement difficile de découvrir deux hommes représentant mieux l’opinion musulmane que Shaukat Ali et Hasrat Mohani. Les autres, bien que moins connus, ont été choisis pour les qualités, qu’on leur connaît, de force, de patience, de calme, de franchise, de courage devant les difficultés.

On a prétendu que je devrais être à la tête du mouvement. Cette déclaration n’est vraie qu’en partie[66]. Ce n’est pas par esprit d’humilité que je le dis, mais parce que c’est rigoureusement exact. Si la croyance que je dirige le mouvement se répandait, cela pourrait lui être fatal. Je le dirige en ce sens que, pour l’instant, je suis celui dont les conseils sont les plus appréciés et qui, plus que quiconque, a résolu de faire aboutir le programme de Non-Coopération. Mais je n’ai pas la prétention de représenter l’opinion musulmane. Je puis seulement essayer de l’interpréter. Seul, il me serait impossible d’entraîner des masses musulmanes, et si j’essayais de vouloir discuter, à propos de religion, avec la meilleure opinion musulmane, je me verrais dûment hué par un auditoire mixte. Seulement si j’étais Musulman, je ne craindrais point de discuter certaines questions devant une assemblée musulmane, même si je devais tenir tête à un grand nombre. Je considère que je suis un travailleur avisé; ma sagesse consiste en un sentiment très net de ce qui me manque. J’espère que je ne dépasse jamais mes limites; en tout cas ce n’est jamais consciemment. Il faut que tout Musulman intelligent se rappelle ce qui me manque et à quoi se bornent mes fonctions. L’ignorer serait fatal au succès du mouvement. Il ne faut pas qu’en m’associant avec le mouvement, je rende les travailleurs pour la Cause indolents et indifférents. Mon association avec le mouvement pour donner de bons résultats doit être la source d’une attention plus grande, d’un sentiment de responsabilité plus fort, d’une ardeur au travail supérieure et d’une activité plus efficace. Je puis élaborer des plans, mais leur exécution doit toujours demeurer entre les mains des travailleurs musulmans. Il faut que le mouvement soit organisé et dirigé par eux, avec l’aide d’amis comme moi, mais aussi sans leur aide s’il est nécessaire. Il ne faut pas s’attendre à ce que je forme des Non-Coopérateurs, les chefs musulmans seuls le peuvent. Quelle que soit l’étendue du sacrifice chez moi, elle ne peut produire dans le monde musulman l’esprit de Non-Coopération, c’est-à-dire de sacrifice, pour des questions religieuses. Il faudra que les chefs musulmans montrent cet esprit en eux-mêmes, avant que la masse le développe en elle.

Et maintenant, il m’est facile de répondre à la question: «Pourquoi n’y a-t-il pas d’Hindous au Comité?»—Le Comité suprême ne peut être composé que de Musulmans. Je considère que ma présence même est un mal, mais un mal nécessaire, à cause de mes connaissances particulières. Je suis un spécialiste de la Non-Coopération. Je l’ai expérimentée avec succès. La résolution de Non-Coopération fut conçue par moi, à la conférence de Delhi. Je fais donc partie du Comité comme spécialiste, et non parce que je suis Hindou. Mes fonctions sont uniquement celles de conseiller. Que je sois un Hindou convaincu, persuadé que tout Hindou doit considérer de son devoir de soutenir les Musulmans jusqu’au bout de la Non-Coopération, c’est assurément un avantage pour le Comité. Mais cet avantage était à sa disposition, que j’en fisse partie ou non.

Puisque j’examine en ce moment les relations des Hindous avec le Mouvement pour le Califat, j’aimerais en profiter, quitte à me répéter, pour établir ma position bien nettement.

La réclamation des Musulmans me paraissant juste, j’ai l’intention de me joindre à eux jusqu’au bout de la Non-Coopération. Et je considère que cette attitude est absolument compatible avec la fidélité que je dois à la Grande-Bretagne. Seulement, je ne suivrais pas les Musulmans dans une campagne de violence. Je ne pourrais, par exemple, favoriser une invasion de l’Inde par l’Afghanistan, en vue d’obtenir de meilleures conditions de paix. A mon avis, le devoir d’un Hindou est de résister à toute incursion dans l’Inde, quand bien même ce serait dans le but mentionné plus haut. De même que son devoir est d’aider ses frères musulmans à obtenir satisfaction à leur juste demande, par la Non-Coopération ou par quelque autre forme de souffrance, si grande soit-elle, tant qu’elle ne risque pas de faire perdre à l’Inde sa liberté et n’inflige de violence à personne. J’ajouterai que je me suis jeté à corps perdu dans la Non-Coopération, ne fût-ce que pour éviter un conflit armé de ce genre.

23 juin 1920

Chargement de la publicité...