La jeune Inde
LE CONGRÈS ET LA NON-COOPÉRATION
L’honorable Pundit Malaviyaji, pour qui j’ai la plus haute considération, et que j’ai souvent appelé du nom de Dharmatma (âme sainte) s’est adressé à moi, à la fois publiquement et en particulier, pour me demander de suspendre la Non-Coopération jusqu’à ce que le Congrès ait exprimé son opinion. Le Mahratta a été du même avis. Ces demandes m’ont fait réfléchir mais je regrette de dire que je n’ai pu en tenir compte. Je ferais et donnerais beaucoup pour plaire au Punditji. Je désire infiniment recevoir son approbation et sa bénédiction pour toutes mes actions. Mais un devoir plus haut m’oblige à ne pas me détourner du plan adopté par le Comité de Non-Coopération. Il est certains moments dans la vie où il faut agir, même s’il est impossible d’entraîner avec soi ses meilleurs amis. Lorsqu’il y a conflit de devoirs la «petite voix silencieuse» doit être l’arbitre final.
La raison pour laquelle on me demande de suspendre l’action de la Non-Coopération, c’est que le Congrès doit se réunir prochainement, qu’il considérera toute la question de la Non-Coopération et qu’il statuera. «Il vaudrait donc mieux», dit Punditji «attendre la décision du Congrès.» A mon humble avis le devoir d’un membre du Congrès n’est nullement de consulter celui-ci avant d’agir, lorsqu’il n’a aucun doute sur la question. Sinon, ce serait l’inertie.
Le Congrès est en somme le porte-parole de la nation. Lorsqu’on a une politique ou un programme que l’on aimerait voir adopter, mais pour lequel on désire cultiver l’opinion publique, on s’adresse naturellement au Congrès pour qu’il le discute et forme une opinion. Mais lorsque l’on possède une foi inébranlable dans une certaine action ou dans une politique particulière, attendre que le Congrès se prononce serait folie. Il faut au contraire agir et en démontrer l’efficacité afin de décider la nation à l’adopter.
Ma fidélité au Congrès m’ordonne de suivre sa politique si celle-ci n’est pas contraire à ma conscience. Si je fais partie d’une minorité je n’ai pas le droit de poursuivre ma politique au nom du Congrès. La décision du Congrès sur une question donnée ne veut pas dire qu’il soit interdit à un membre du Congrès d’accomplir une action opposée, mais qu’en ce faisant il agit à ses risques et périls et sachant qu’il n’est pas soutenu par le Congrès.
Tout membre du Congrès, tout corps public a le droit et parfois même le devoir d’exprimer son opinion personnelle, d’agir d’après elle et de devancer ainsi le verdict du Congrès. C’est même la meilleure façon de servir la nation. En inaugurant une politique mûrement réfléchie nous fournissons à un grand corps délibérant comme le Congrès, les moyens de se faire une opinion bien informée. Le Congrès ne peut exprimer une opinion nationale quelque peu précise à moins que certains d’entre nous ne possédions des idées nettes sur un plan d’action particulier. Si tous nous tenions en suspens notre opinion, le Congrès se verrait également forcé de faire de même.
Dans toute institution il existe trois classes de gens. Ceux dont les vues sont favorables à une politique donnée, ceux dont les vues sont bien définies mais défavorables et ceux qui n’ont pas de vues bien définies. Pour ce dernier et nombreux groupe c’est le Congrès qui décide. Je suis certain que si nous voulons arriver à faire quelque chose des Réformes, il nous faudra créer une atmosphère pure, saine, élevée au lieu de l’atmosphère malsaine, fétide et avilissante qui existe actuellement. Je considère que notre premier devoir est d’obtenir justice du Gouvernement Impérial pour le Califat et le Pendjab. Dans ces deux questions l’injustice se maintient par les mensonges et l’insolence. Je considère donc qu’il est du devoir de la Nation de débarrasser le Gouvernement de cette souillure avant de pouvoir coopérer avec lui. Même l’opposition ou l’obstruction est possible lorsqu’il y a respect et confiance réciproques. A l’heure présente, l’autorité qui gouverne n’a aucun respect ni pour nous ni pour nos sentiments. Nous n’avons pas foi en elle. La Coopération dans de telles circonstances devient un crime. Je ne puis, avec des vues aussi absolues que les miennes, servir le Congrès et le pays autrement qu’en les mettant en pratique et en fournissant ainsi au Congrès de quoi former sa propre opinion.
Suspendre la Non-Coopération serait pour moi manquer de parole à mes frères musulmans. Ils ont un devoir religieux à remplir. Leur sentiment religieux a été profondément blessé par un mépris total des lois de la justice et des promesses des ministres britanniques. Il faut maintenant que les Musulmans agissent. Ils ne peuvent attendre que le Congrès prenne une décision. Ils peuvent seulement espérer que le Congrès ratifiera leur action et partagera leur tristesse et leur fardeau. Leur action ne saurait être remise jusqu’à ce que le Congrès ait décidé une politique, pas plus que leur plan d’action ne saurait être modifié par une décision contraire de sa part, à moins qu’il ne soit démontré que cette action serait une faute. Le Califat est pour eux une question de conscience, et dans les questions de conscience, la loi de la Majorité n’existe pas.
4 août 1920.