La jeune Inde
LE GRAND PROCÈS
La «Couronne» contre M. K. Gandhi et S. G. Banker.
Le Procès de Gandhi et de Banker commença à la Circuit House de Shahi Bag le samedi 18 mars à midi devant M. C. S. Broomsfield juge du District et Sessions d’Ahmedabad.
Sir J. T. Strangman et Rao Bahadur Girdharlal dirigeaient l’accusation. Les accusés n’avaient point d’avocat.
A midi, le juge ouvrit la séance, en disant qu’une légère erreur dans l’exposé des faits reprochés aux accusés l’obligeait d’abord à rectifier cet exposé. Après quoi le greffier du tribunal donna lecture de l’acte d’accusation, le délit consistant dans la publication de trois articles parus dans la Jeune Inde du 22 Septembre, du 15 décembre 1921 et du 23 février 1922. Lecture fut ensuite donnée des articles en question dans l’ordre suivant: Corruption du Loyalisme; une Enigme et sa Solution; et Secouant la crinière[92].
Le juge expliqua brièvement les raisons de la mise en accusation. Il demanda à Gandhi s’il reconnaissait avoir commis les délits qu’on lui reprochait, ou s’il désirait plaider sa cause. Gandhi déclara qu’il se reconnaissait coupable et ajouta qu’il avait remarqué que le nom du Roi, ainsi qu’il convenait, n’avait pas été mentionné dans l’acte d’accusation.
..... Sir Strangman prit alors la parole au nom de la Couronne. Il montra que les articles incriminés n’étaient pas isolés. Ils faisaient partie d’une campagne organisée... Après en avoir lu certains passages pour en démontrer le caractère séditieux, Sir Strangman poursuivit: «L’accusé est un homme qui possède une grande culture et d’après ce qu’il écrit, il est évidemment un chef. Le mal qu’il peut faire est considérable. Sans doute dans ses articles il a insisté sur la Non-Violence comme base de la campagne et de la doctrine. Mais à quoi peut servir de prêcher la Non-violence s’il prêche la désaffection envers le gouvernement ou pousse ouvertement les autres à le renverser? Il semble que Chauri-Chaura, Madras, répondent à cette question. Ce sont des événements dont le tribunal est prié de tenir compte en prononçant la sentence. La Cour devrait considérer ces circonstances qui méritent un châtiment sévère.
Quant au second accusé, son offense est moindre, quoique grave. Il s’occupe de la publication et n’écrit pas. L’accusé étant riche, Sir Strangman demande à la Cour de lui imposer une amende importante outre la peine que l’on jugera bon de lui infliger. Il s’appuie sur le paragraphe III de la loi sur la Presse qui traite des amendes, et déclare que 1000 à 10000 roupies sont exigées dans bien des cas.»
Le tribunal s’adressa alors à M. Gandhi et lui demanda s’il avait quelque déclaration à faire, se rapportant à la sentence.
M. Gandhi répondit qu’en effet il aurait une déclaration à faire. Le Tribunal lui ayant demandé s’il pouvait la remettre par écrit, afin de la joindre au dossier, Gandhi répondit qu’il la remettrait après l’avoir lue.
«Avant de lire cette déclaration, dit-il, je tiens à affirmer que j’approuve entièrement les remarques de l’Avocat général au sujet de mon humble personne. Je considère qu’il a été parfaitement juste à mon égard dans toutes les déclarations qu’il a faites; elles sont absolument exactes, et je n’ai pas le moindre désir de cacher à la cour que prêcher la désaffection vis-à-vis du gouvernement est presque devenu une passion chez moi. L’Avocat Général a tout à fait raison également, lorsqu’il dit que j’ai prêché cette désaffection bien avant de m’occuper de la Jeune Inde, et, dans la déclaration que je vais lire, ce sera mon pénible devoir d’admettre devant la Cour que j’ai commencé bien avant l’époque dont a parlé l’Avocat Général. C’est pour moi un devoir extrêmement pénible, mais qu’il me faut remplir, sachant la responsabilité qui pèse sur ma tête et voulant endosser tout le blâme que le savant Avocat m’a jeté, à propos des incidents de Chauri-Chaura et de Madras et de Bombay. Quand j’y réfléchis profondément et que nuit après nuit j’y songe, je ne puis me désassocier des crimes diaboliques de Chauri-Chaura ou des horreurs de Bombay. L’Avocat Général a raison, lorsqu’il dit qu’homme responsable, homme ayant reçu une part raisonnable d’éducation et possédant une bonne part d’expérience, j’aurais dû savoir les conséquences de chacun de mes actes. Je savais que je jouais avec le feu, j’en ai couru le risque. Si j’étais mis en liberté je recommencerais. J’ai senti ce matin que je manquerais à mon devoir, si je ne disais pas ce que je viens de dire.
J’ai voulu éviter la violence, je veux éviter la violence. La Non-Violence est le premier article de ma foi et le dernier; mais il m’a fallu choisir.—Je devais ou me soumettre à un système de gouvernement qui faisait selon moi un mal irréparable à mon pays,—ou courir le risque de voir se déchaîner la fureur de mon peuple lorsque je lui dirais la vérité. Je sais que mon peuple a été parfois pris de folie. J’en suis extrêmement affligé, et je suis ici pour me soumettre non à une peine légère, mais au châtiment le plus sévère. Je ne demande pas miséricorde, je ne plaide aucune circonstance atténuante. Je suis ici pour réclamer et pour accepter joyeusement la peine la plus sévère qui puisse être infligée pour ce qui est selon la loi un crime délibéré et ce qui me paraît à moi le premier devoir d’un citoyen. La seule chose que vous puissiez faire, Juge, c’est de démissionner ou de m’infliger la peine la plus sévère, si vous croyez que le système et la loi que vous administrez est bonne pour le peuple. Je ne compte pas sur ce genre de conversion; mais peut-être lorsque j’aurai lu ma déposition, aurez-vous entrevu ce qui gronde dans ma poitrine, ce qui m’a fait courir le plus grand risque qu’il soit possible à un homme sensé de courir.