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La jeune Inde

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BOYCOTTAGE SOCIAL

La Non-Coopération étant un mouvement de purification fait non seulement remonter à la surface toutes nos faiblesses mais il dévoile également ce qu’il y a d’excessif dans nos qualités mêmes. Le boycottage social est une antique institution, elle date de la même époque que les castes. C’est la seule sanction terrible qui produise un effet sérieux. Elle s’appuie sur l’idée qu’une communauté n’est pas tenue de donner l’hospitalité à un excommunié ni de le servir. Boycotter avait sa raison d’être lorsque chaque village formait un tout compact et qu’il n’y avait guère possibilité de se montrer récalcitrant. Mais lorsque l’opinion n’est pas d’accord, comme c’est le cas actuellement sur les mérites de la Non-Coopération; lorsqu’on fait l’essai d’une nouvelle méthode, le boycottage social qui cherche à faire plier la minorité devant la volonté de la majorité est une forme de violence impardonnable. Si l’on persiste, ce boycottage deviendra la ruine du mouvement. Le boycottage social est applicable et produit son effet lorsqu’il n’est pas considéré comme une punition et qu’il est accepté par celui qui en souffre comme une forme de discipline. En outre pour qu’on le tolère dans une campagne non-violente il ne doit jamais être inhumain. Il faut qu’il soit civilisé. S’il est une source de désagréments pour celui qui en est l’objet, il faut qu’il soit une source de chagrin pour celui qui l’applique. Priver un malade des soins du docteur par exemple comme ce fut, paraît-il, le cas à Jhansi est un acte inhumain comparable selon le code moral à une tentative de meurtre. Je ne vois aucune différence entre assassiner quelqu’un et priver un mourant du secours d’un docteur. Même les lois de la guerre ordonnent, je le sais, de donner des soins médicaux à l’ennemi lorsqu’il en a besoin. Empêcher quelqu’un de se servir du seul puits qui existe dans un village c’est lui intimer l’ordre de partir. Les Non-Coopérateurs n’ont sûrement pas le droit d’employer une pression de ce genre envers ceux qui ne voient pas les choses tout à fait de la même façon qu’eux. L’impatience et l’intolérance tueraient certainement ce grand mouvement religieux. Nous n’avons pas le droit de contraindre les gens à être purs, nous avons encore moins le droit de les forcer par la violence à respecter notre opinion. Ceci est absolument contraire à l’esprit démocratique que nous voulons développer.

Il est certain qu’il y a de sérieuses difficultés à surmonter. Recourir au boycottage social est une tentation irrésistible lorsque celui qui a accepté l’arbitrage privé refuse de se soumettre à sa sentence. Il est facile néanmoins de se rendre compte que le boycottage social a neuf chances sur dix d’entraver le splendide mouvement vers l’arbitrage pour régler les litiges, arme puissante de la Non-Coopération qui tend en outre à faire beaucoup de bien. Il faudra un certain temps avant de s’habituer à l’arbitrage privé. Par sa simplicité et son économie, il répugne à certains, comme les mets simples à ceux dont le palais est blasé par les mets trop épicés. Il va sans dire que toutes les sentences arbitrales ne seront pas parfaites; mais nous devons compter pour qu’il prospère sur le mérite intrinsèque du mouvement, et la justesse des décisions...

J’espère que ceux qui travaillent à la Non-Coopération se méfieront des embûches du boycottage social. Mais le boycottage n’a certainement pas comme alternative des rapports sociaux. Un homme qui défie une opinion publique nette et vigoureuse sur des questions vitales n’a droit ni à des politesses ni à des privilèges sociaux. Nous ne devons pas prendre part chez lui à des réunions telles que repas de noce, et recevoir de lui des cadeaux, mais nous ne nous permettrions pas de lui refuser un service social. Ce service serait un devoir pour nous. Assister à de grands dîners et autres choses du même genre c’est un privilège qu’on est libre d’accorder ou de refuser. Il serait sage de notre part de prêcher plutôt par excès de zèle et de nous servir de notre arme dans certaines occasions rares et bien déterminées sous la forme restreinte dont je viens de parler. En chaque circonstance celui qui emploie cette arme le fait à ses propres risques. S’en servir n’est en aucune façon un devoir pour l’instant. Personne n’a le droit d’en faire usage s’il y a quelque danger de nuire par là au mouvement.

16 février 1921

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